Par Michel Broué, mathématicien,
Dominique Cardon, sociologue,
Stéphanie Chevrier, éditrice,
Christine Lazerges, juriste,
François Vitrani, responsable associatif.
Rétablir la confiance du public dans l’information passe par la restauration de l’indépendance des médias. Il ne s’agit pas seulement de l’indépendance éditoriale, ce combat quotidien qui requiert toutes les rédactions quels que soient les contextes professionnels, comme le rappelait en 1971 la « Charte de Munich », cette Déclaration des devoirs et des droits des journalistes : « La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics ».
Non, il s’agit, plus essentiellement, de l’indépendance économique de façon à ce que les soupçons de liens de dépendance avec des intérêts privés, financiers ou industriels, ne viennent pas accroître un discrédit ruineux pour la qualité du débat public. C’est, en France, à la fois un défi ancien et un enjeu présent.
Hier, au spectacle d’une presse d’autant plus avilie dans la Collaboration qu’elle était déjà moralement corrompue, le Conseil national de la Résistance avait fait de « son indépendance à l’égard des puissances d’argent » un impératif démocratique. Cette exigence avait été reprise par Albert Camus, dans le Combat de la Libération, dès 1944 : « Toute réforme morale de la presse serait vaine si elle ne s’accompagnait pas de mesures politiques propres à garantir aux journaux une indépendance réelle vis-à-vis du capital ».
Si cette espérance fut largement déçue, elle n’en fut pas moins au cœur du défi relevé à l’époque par Le Monde dont le fondateur, Hubert Beuve-Méry craignait cette « presse d’industrie », où l’information devient le « sous-produit avantageux » d’actionnaires intéressés à ce qu’elle « n’aille pas porter quelque préjudice à des intérêts très matériels et très précis ou, à l’occasion, qu’elle les serve très efficacement ».
De nos jours, les sociétés de journalistes ou de personnels ayant perdu la possession du capital là où elles l’avaient conquis – essentiellement au Monde et à Libération –, c’est peu dire que l’existence de journaux libérés du pouvoir de l’argent semble une utopie irréalisable. Nous pensons, tout au contraire, que c’est un objectif atteignable et, surtout, nécessaire alors que la grande majorité de nos médias privés sont devenus la propriété d’actionnaires dont les activités principales sont extérieures aux métiers de l’information.
Nous avons décidé d’en faire la démonstration en lançant le Fonds pour une Presse Libre (FPL), ayant le statut d’un fonds de dotation et, à ce titre, éligible à des dons défiscalisés. Issu d’une initiative des cofondateurs et des salariés de Mediapart, dont le capital, désormais contrôlé par cette structure à but non lucratif, est ainsi totalement à l’abri de toute prédation, rendu incessible et inviolable, ce Fonds est au service d’une cause aujourd’hui commune à bien des rédactions dans le difficile combat pour leur indépendance économique. Sa mission d’intérêt général est en effet « de défendre le pluralisme de la presse et l’indépendance du journalisme, conditions essentielles de la liberté de l’information ».
Inédite en France, la voie qu’il ouvre est celle qu’avait tracé le premier président de la Société des rédacteurs du Monde, Jean Schwœbel, qui, en 1968, dans La Presse, le pouvoir et l’argent, avait rêvé d’inventer un nouveau modèle de sociétés de presse qui protège le droit à l’information des spéculations financières et des pressions économiques. Permettant la détention du capital par une entité non lucrative, en d’autres termes non capitaliste, elle rejoint d’ailleurs les espoirs récemment formulés par les journalistes du Monde auprès de leurs actuels actionnaires.
À l’heure des bouleversements induits par la révolution numérique, le Fonds pour une Presse Libre entend veiller à ce que celle-ci ne soit pas synonyme de régression du pluralisme de la presse, de perte d’indépendance des rédactions et d’affaiblissement de la liberté de l’information. Alors que les discours de haine – islamophobes, racistes, sexistes, homophobes – ont, hélas, droit de cité médiatique, il entend de plus promouvoir un journalisme d’intérêt public, portant des valeurs humanistes, démocratiques et sociales, au service du bien commun, de l’égalité des droits, du rejet des discriminations et du refus des injustices.
La question de l’intégrité, de la qualité et de l’indépendance de l’information est devenu un enjeu démocratique central. C’est la raison d’être du FPL et de notre engagement pour cette cause, dans la diversité de nos parcours.