L’entreprise des milliardaires visant à faire main basse sur l’information en France a franchi une nouvelle étape à la mi-novembre 2024. On a en effet appris par voie de communiqué qu’une alliance de grands argentiers composé notamment de Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Rodolphe Saadé, de la famille Dassault et de l’ancien président du Medef Pierre Gattaz, avec un temps le groupe Bayard – qui s’est retiré depuis, allait racheter l’école supérieure de journalisme (ESJ) de Paris, fondée en 1899.
Si l’opération concerne une école presque moribonde, qui ne fait pas partie des quatorze écoles reconnues par la profession, les levées de boucliers qui ont suivi l’annonce de ce rachat ne sont pas dénuées de tout bon sens.
Que les propriétaires de la majorité des médias grand public privés – Bernard Arnault possède Les Echos, Paris Match, le Parisien, Radio Classique, Vincent Bolloré le JDD, Europe 1 et le groupe Canal+, Rodolphe Saadé BFM-TV et RMC, la Tribune Dimanche et la Provence, et la famille Dassault le groupe Figaro – s’allient pour racheter cette école dit beaucoup de leur vision de l’indépendance de la fonction de journaliste. Après avoir mis au pas les directions de leurs médias, il leur faut désormais avoir le contrôle de la formation des travailleurs de l’information.
Cette formation, vu la composition du tour de table, fera la part belle aux idées économiques libérales. Depuis des années, le monde des affaires milite pour que la formation des élèves journalistes soit avant tout axée sur « la culture de l’entreprise » et limite la place des phénomènes sociaux tels que le chômage, les grèves et la pauvreté. Ce, dans le but d’éviter toute critique du capitalisme dans les médias, et donc in fine une remise en question du système qui leur permet d’accaparer l’immense majorité des richesses.
Sur des sujets relatifs à l’éducation, l’histoire, l’environnement ou aux droits des minorités, ce n’est pas plus réjouissant. L’enseignement de l’ESJ Paris s’inscrira vraisemblablement dans la banalisation des idées de l’extrême droite. Plusieurs indices vont dans ce sens. D’abord, la présence aux côtés des milliardaires précités de plusieurs investisseurs « catho-tradis », tels Stanislas et Godefroy de Bentzmann ou Thibaud de Saint Vincent, qui sont tous proches d’un autre milliardaire d’extrême droite qui a des vues sur les médias, Pierre-Edouard Stérin.
Ensuite, les repreneurs de l’ESJ Paris ont nommé pour diriger l’école Vianney d’Alançon, un homme d’affaires de 38 ans qui a pour principal fait d’armes d’avoir racheté un château en Provence pour en faire un parc à thème sur l’histoire de la région, un peu à la manière de ce qu’a fait Philippe de Villiers avec le Puy-du-Fou, rapportait le journal Marsactu.
Hélas, étant donné le nombre de médias qu’ils possèdent, nul doute que cette nouvelle école attirera des élèves voulant maximiser leur chance d’obtenir un CDI ensuite. Car le journalisme est un secteur où la précarité fait loi et où les places sont chères. C’est un terrain de jeu fertile pour que les grands propriétaires de médias dictent leur loi sur le marché de l’emploi. Il y a là de quoi s’inquiéter. Si le rachat de l’ESJ Paris par ces mêmes milliardaires en appelait d’autres, ce serait autant moins de jeunes journalistes qui pourraient être formés à l’idée d’indépendance de l’information.
Mathias Thépot, journaliste et membre du conseil d’administration du FPL