Attaques répétées contre la société civile: un signal inquiétant de dérive autoritaire du pouvoir

Alors que ce 10 juillet marque le 40ᵉ anniversaire de l’attentat contre le « Rainbow Warrior », plusieurs responsables d’ONG – dont Jean-François Julliard (Greenpeace), Cécile Duflot (Oxfam), Claire Nouvian (Bloom) et Antoine Gatet (France Nature Environnement) – alertent sur les attaques croissantes qui visent la société civile, y compris en France. Le Fonds pour une presse libre est signataire de cette tribune publiée sur le site du Nouvel Obs

Le 10 juillet 1985, le Rainbow Warrior, navire emblématique de Greenpeace, était coulé par les services secrets français en Nouvelle-Zélande, à la veille d’une mission pour dénoncer les essais nucléaires dans le Pacifique. L’attentat coûta la vie au photographe Fernando Pereira. Quarante ans plus tard, ce ne sont plus des bombes mais d’autres méthodes qui sont utilisées pour museler l’organisation : en mars 2025, aux États-Unis, plusieurs entités de Greenpeace ont été condamnées à verser plus de 665 millions de dollars à la société Energy Transfer, exploitante du pipeline Dakota Access, pour avoir soutenu pacifiquement des communautés autochtones impactées par un projet d’oléoduc. Le montant faramineux de ce verdict menace désormais la survie même de l’organisation aux États-Unis.

Les sanctions disproportionnées de ce type ne sont pas des cas isolés. Elles s’inscrivent dans une offensive réactionnaire mondiale où milliardaires, multinationales et gouvernements autoritaires convergent pour réduire au silence les voix dissidentes.

Une offensive réactionnaire mondiale

Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, les mesures autoritaires s’enchaînent aux États-Unis : coupes budgétaires, musellement de la recherche, censure, répression des personnes exilées, multiplication des lois liberticides. Le débat public est désormais saturé par des discours rétrogrades, racistes et transphobes et des fake news anti-science et climato-sceptiques, le tout relayé massivement par des plateformes numériques et des médias contrôlés par des milliardaires, d’Elon Musk à Mark Zuckerberg, de Fox News aux holdings médiatiques d’extrême droite en Europe.

Ce constat alarmant fait écho à une dynamique globale de normalisation de la répression : dans plusieurs régions du monde, les mouvements citoyens sont criminalisés, la désobéissance civile assimilée à du terrorisme et la défense des droits humains systématiquement qualifiée d’« extrémisme ». Selon le constat de l’ONG Global Witness, entre 2012 et 2022, un défenseur ou une défenseuse de l’environnement a été tué tous les deux jours dans le monde.

Une vague répressive à l’échelle européenne

Le Vieux Continent, gagné par une percée historique de l’extrême droite, voit chaque jour l’équilibre entre ordre public et libertés fondamentales mis à mal. Un indicateur particulièrement alarmant de cette tendance est la multiplication des poursuites-bâillons qui visent les ONG environnementales, les associations de défense des droits humains, les journalistes et les lanceuses et lanceurs d’alerte. Ces procédures abusives n’ont pas pour objectif de rendre justice mais d’intimider, d’épuiser et de faire taire celles et ceux qui dénoncent les abus d’industries polluantes ou de pouvoirs corrompus. Entre 2010 et 2023, la Coalition Against SLAPPs in Europe (CASE) a recensé 1049 affaires de ce type en Europe, un chiffre en forte hausse ces dernières années.

Au niveau des institutions européennes, la droite et l’extrême droite font également pression sur les ONG et remettent en cause leur financement par des fonds européens.

Au sein des pays membres, les exemples de répression se multiplient : en Hongrie, le gouvernement de Viktor Orbán a interdit tous les événements liés à la Pride et prépare des lois renforçant le contrôle des ONG et des médias. Au Royaume-Uni, où deux militantes de Just Stop Oil ont été condamnées à de la prison ferme pour des jets de soupe sur une œuvre d’art protégée par une vitre, Amnesty met en garde contre les tentatives répétées du gouvernement de restreindre le droit de manifester. En Italie, des procédures d’urgence permettent de faire passer des lois criminalisant les protestations. En Allemagne, le Conseil de l’Europe alerte sur des « tentatives d’expulsion de ressortissants étrangers » en lien « avec leur participation à des manifestations » en soutien à Gaza.

La France, théâtre d’une dérive autoritaire

En France, les dérives sont toutes aussi  préoccupantes. Qu’elles défendent l’environnement, la justice sociale, les droits humains et les libertés publiques, luttent contre le racisme ou le fascisme, ou travaillent dans la culture, les associations subissent menaces, surveillance, diffamation. Leur liberté d’expression et de création est attaquée. 

Ces tentatives d’intimidation peuvent aller jusqu’à des dissolutions administratives. Initialement pensées dans les années 1930 pour lutter contre les ligues fascistes, ces dernières sont aujourd’hui utilisées de façon arbitraire contre des mouvements citoyens comme Les Soulèvements de la Terre, dissous puis réhabilités par le Conseil d’État, ou plus récemment La Jeune Garde dissoute par décret et Urgence Palestine menacée de dissolution par l’exécutif.
Interdictions de manifester, gardes à vue abusives, usage disproportionné de la force, fichage illégal, mais aussi  suppressions de subventions ou de locaux, usage détourné du contrat d’engagement Républiquain : l’ensemble de ces pratiques contribue à restreindre dangereusement l’espace civique comme le souligne la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme dans un récent avis. Sur la scène internationale, la France a d’ailleurs été maintes fois épinglée sur le sujet par le Conseil de l’Europe, l’ONU, notamment le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies et le rapporteur spécial sur les défenseurs de l’environnement aux Nations unies.

Face à cette offensive globale, il est urgent de rappeler une évidence : le monde associatif dans son ensemble, les syndicats, les lanceuses et lanceurs d’alerte  et collectifs citoyens sont le cœur battant de nos démocraties. Ils et elles  alertent, protègent et défendent l’intérêt général. Derrière chaque militante et chaque militant réprimé, c’est une part de notre démocratie qui vacille.

Il est temps de relever la tête et de résister, ensemble.


Liste des signataires :
Gabriel Bourdon Fattal, Co directeur de Climate Whistleblowers
Erika Campelo, déléguée nationale de Vox Public
Philippe Candelon, Président d’Alertes.me
Juliette Caroulle, porte-parole d’Alternatiba
Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de La Cimade                              Charlotte Clavreul, directrice exécutive du Fonds pour une presse libre
Marie Cohuet et Laura Thieblemont, co-présidentes des Amis de la Terre France Morgane Créach directrice générale du Réseau Action Climat-France
Juliette Decoster, Présidente de Sherpa
Marion Ducasse, Responsable du plaidoyer à Aequitaz
Esther Dufaure & Maxime de Lisle, Co Directrice et Directeur de Seastemik
Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France
Bastien Faure, Directeur de Zero Waste France
Antoine Gatet, Président de France Nature Environnement
Murielle Guilbert et Julie Ferrua co-déléguées de l’Union syndicale Solidaires
Salah Hamouri, prisonnier politique palestinien déporté, porte parole d’Urgence Palestine
Karine Jacquemart, Directrice de foodwatch France
Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France
Martin Kopp, coordinateur de GreenFaith France
Aicha Koraïchi, Présidente d’Action contre la Faim
Stéphane Krasniewski, président du SMA – syndicat des musiques actuelles
Judith Krivine, Présidente du Syndicat des avocat·es de France
Laetitia Lafforgue et Alban Cogrel, Co-Président∙es de l’Union Fédérale d’Intervention des Structures Culturelles – UFISC
Gilliane Le Gallic, Présidente d’Alofa tuvalu
Elodie Nace, Déléguée générale de la Maison des Lanceurs d’Alerte
Gaëlle Nourry-Gardien, porte-parole d’Action non-violente COP21 (ANV-COP21)
Claire Nouvian, Présidente de Bloom
Latifa Oulkhouir, directrice de l’organisation le mouvement
Dominique Pradalié, Journaliste et Présidente de la Fédération internationale des journalistes
Lucie Pinson, fondatrice et directrice générale de Reclaim Finance
Anne Savinel-Barras, Présidente d’Amnesty International France
Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous
Henri Thulliez, Directeur exécutif de la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique
Léa Zaïdat, coordinatrice des mobilisations chez Action Justice Climat Paris

Organisations signataires :
CFDT Cadres
Sud Recherche
SNJ-CGT

 La tribune a été publiée sur le site du Nouvel Obs le 9 juillet à 9h03, mise à jour le 10 juillet 2025 à 10h05. 

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