Concentration des médias: l’urgence d’agir

Par François Bonnet, administrateur du FPL 

Enfin, les pouvoirs publics se saisissent de la question de la concentration des médias. On en connaît les enjeux : le pluralisme, la diversité et la liberté de l’information. Depuis vingt ans, une petite dizaine de groupes industriels possédés par des hommes d’affaires milliardaires et vivant bien souvent des commandes publiques ont pris le contrôle de la quasi-totalité des médias. Ils s’appellent Bouygues, Arnault, Pinault, Dassault, Lagardère, Bolloré, Niel, Pigasse, Drahi. Et cette prise de contrôle s’est faite le plus souvent avec le soutien, voire à la demande des pouvoirs politiques successifs.

S’agit-il de désamorcer le débat grandissant sur les dangers d’une telle concentration ? Le gouvernement a discrètement lancé, début septembre, une mission sur « les règles anti-concentration dans le secteur de la presse, de l’audiovisuel et des groupes multimédias ». Le travail a été confié à l’inspection générale des affaires culturelles et à l’inspection générale des finances (lire ici la lettre de mission). Rapport attendu au premier semestre 2022.

Dans la foulée, sur demande du groupe socialiste, le Sénat a décidé début novembre de créer une commission d’enquête sur cette concentration des médias et d’en « évaluer l’impact sur la démocratie ». Là encore, les travaux de cette commission de 21 membres (lire ici le détail de sa composition) dureront plusieurs mois.

D’éventuelles mesures ou changements législatifs ne pourront être attendus que bien après l’élection présidentielle d’avril 2022 et les élections législatives qui s’ensuivront. A supposer que le futur pouvoir exécutif décide de s’en saisir… A ce jour, le seul intérêt de ces deux initiatives est de pouvoir porter dans le débat public cette question décisive de la liberté de l’information et de l’indépendance du journalisme.

Deux événements ont été déclencheurs. Le premier est la fusion des groupes TF1 et RTL-M6, soutenue par le gouvernement avec l’argument toujours avancé de la nécessité de « constituer des champions nationaux ».Mais cette fusion est vivement contestée tant elle pourrait déséquilibrer l’ensemble de l’audiovisuel. Le nouvel ensemble TF1-M6 pèserait 75% de la publicité audiovisuelle et contrôlerait 9 des 26 chaînes gratuites de la TNT (la loi fixe aujourd’hui un seuil maximum de 7 chaînes).

Plus spectaculaire, le deuxième événement est la constitution à marche forcée d’un empire des médias par l’homme d’affaires Vincent Bolloré à travers Vivendi. La prise de contrôle récente de Paris-Match, du Journal du Dimanche, d’Europe 1, qui se rajoute aux chaînes C8 et CNews, au groupe Canal+, à la plateforme Dailymotion et au rachat en avril du groupe Prisma, n°1 de la presse magazine (Capital, Géo, Femme actuelle, Gala, etc.), inquiète d’autant plus que Vincent Bolloré n’a jamais caché son mépris du journalisme. La mobilisation de CNews et d’Europe1 au service du candidat d’extrême droite Eric Zemmour en témoigne…

Vincent Bolloré, tout comme Bernard Arnault, est désormais en discussion avec la famille Dassault pour un éventuel rachat du Figaro (lire ici et ici). Outre les médias, Bolloré contrôle également Havas, deuxième agence publicitaire mondiale. Il est fortement présent dans l’édition avec Editis et, peut-être demain, le géant Hachette.

La concentration se poursuit également dans la presse quotidienne régionale, aux mains d’une demi-douzaine d’acteurs. Xavier Niel, actionnaire dominant du groupe Le Monde, qui a récemment racheté le groupe France-Antilles, est sur le point de contrôler toute la presse du Sud-Est. Déjà propriétaire de Nice-Matin et de Var-Matin, il est en bonne position pour racheter les quotidiens La Provence et Corse-Matin, à vendre depuis la mort de Bernard Tapie.

Les travaux du Sénat et de la mission gouvernementale interviennent bien trop tard pour pouvoir seulement gêner ces opérations. Les parlementaires comme le ministère de la culture se disent encore à la recherche de propositions… La loi de 1986, qui régule l’audiovisuel et édicte quelques règles anti-concentration, est devenue de l’avis de tous inopérante et obsolète. Modifiée plus de cent fois depuis 1986, elle n’a nullement enrayé le mouvement de concentration à l’œuvre.

Des propositions sont pourtant faites depuis des années par les rédactions, des syndicats ou des collectifs de journalistes, des spécialistes des médias. Elles visent à établir de nouveaux critères anti-concentration pour encourager le pluralisme des médias et l’indépendance du journalisme.

La plus ancienne, que François Hollande avait repris durant sa campagne présidentielle avant de l’oublier une fois élu, est d’interdire à des groupes vivant de commandes publiques de détenir des médias. Cela viserait le groupe Bouygues (TF1 et bientôt M6), Dassault (Le Figaro). Une autre serait d’empêcher les acteurs dominants de la publicité d’investir dans les médias : cela viserait Bolloré et le groupe Havas, Bernard Arnault et le groupe LVMH, premier annonceur publicitaire en France.

D’autres propositions visent à revoir les seuils de concentration, en incluant en particulier les chiffres d’audience sur le numérique (non pris en compte aujourd’hui). D’autres visent à renforcer ou, au moins, à rendre effective la loi Bloche en dotant les rédactions d’un statut juridique, en leur conférant des droits moraux et en associant ces rédactions à la gouvernance des médias.

Des collectifs de journalistes, comme Informer n’est pas un délit, plaident également pour la création d’un « d’un délit de trafic d’influence en matière de presse afin de limiter toute pression sur les rédactions : La loi devrait sanctionner pénalement ces pratiques que sont l’abus, par des propriétaires ou dirigeants de médias, de leur capacité d’influencer les productions journalistiques pour favoriser leurs intérêts ou les intérêts de tiers ».

Enfin, de très nombreuses propositions visent à renforcer les pouvoirs de contrôle et de sanction du CSA, à réformer les aides publiques à la presse qui constituent aujourd’hui une rente pour les plus grands groupes, à obliger à la transparence sur les actionnaires directs et indirects ainsi que sur les aides privées, notamment celles versées par les plateformes Google et Facebook.

Toutes ces propositions existent, avec des formulations et des obligations plus ou moins contraignantes. Le ministère de la culture, en charge du secteur des médias, les a superbement ignorées toutes ces dernières années. A quelques mois de l’élection présidentielle, les candidats doivent se saisir de cette question. Une information libre et pluraliste ne concerne pas que les journalistes, elle est un droit fondamental de toutes les citoyennes et citoyens.

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