Femmes, journaux, liberté

Le FPL vous propose une série d’articles ayant pour objectif de montrer combien les femmes animées du désir de défendre l’égalité femme-homme, ont pu, ont su, tout au long du 19e siècle se saisir de la presse, plus ou moins libre selon les régimes, pour avancer leurs idées. Ce afin de montrer, et l’utilité de la presse, plus encore de la presse libre, et l’inventivité des féministes.

Cette série d’articles est réalisée par Mathilde Larrère, membre du conseil d’administration du FPL, historienne et spécialiste des mouvements révolutionnaires et du maintien de l’ordre en France au XIXè siècle. Elle commence par une des périodes à la fois la pire pour les journaux et pour les femmes : la séquence napoléonienne.

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Après le coup d’État de Napoléon Bonaparte (18 Brumaire an VIII, 9 novembre 1799), la liberté de la presse subit coup sur coup. L’effervescence révolutionnaire avait vu fleurir nombre de titres, désormais les journaux tombent sous le contrôle du ministre de l’Intérieur, lui-même sous la surveillance tatillonne du premier consul puis de l’Empereur. La correspondance de Napoléon atteste de son attention à ce qui s’écrit dans les journaux, de ses colères quand les articles lui déplaisent, de ses injonctions de surveillance et de répression. La censure est rétablie, de très nombreux titres disparaissent, les rares qui subsistent s’autocensurent.

Pour ce qui concerne les droits des femmes, l’arrivée au pouvoir de Napoléon tourne à l’enterrement de première classe. Mariées, les voici privées de droits civils, de capacité civile, d’égalité dans le couple. Le code de 1804 donne au mari tous les droits sur sa femme et leurs enfants. Les femmes, quelques soit leur statut marital, sont renvoyées dans les foyers, loin des lieux de pouvoir (politique, économique, culturel), d’enseignement, d’apprentissage. Les discours arguant de l’infériorité de leur nature vont bon train pour justifier cette mise au pas après la parenthèse révolutionnaire qui avait pu penser leur éducation à égalité avec les hommes. Autant dire qu’écrire dans un journal pour une femme dans ce contexte relevait de la gageure. « L’encre sied mal aux doigts de roses » écrivait déjà dès 1797 Ponse-Denis Ecouchard Le Brun dans l’Almanach des Muses.

Et pourtant des femmes décident de se tacher les doigts aux lettres d’imprimeries pour tenter de contrer l’offensive patriarcale. Pour ce faire, deux journaux que nous connaissons mieux grâce aux travaux de l’historienne Caroline Fayolle[1] : L’Athénée des femmes, un bimensuel fondé en 1808 où écrivent Sophie de Renneville, la comtesse Anne-Marie Beaufort d’Hautpoul et Constance de Théis, princesse de Salm ainsi que Le Petit Magasin des dames, revue annuelle (1803-1810) où l’on retrouve à nouveau la signature de Mme de Salm mais aussi de Fortunée Briquet ou Marie-Emilie de Montanclos. D’autres écrivaines ont aussi participé à l’aventure, ces périodiques devenant des refuges pour les femmes de lettres privées d’accès à la publication, mais les articles sont rarement signés, l’anonymat se révélant protecteur. Pour celles dont on connait les noms, ce sont toutes des femmes de lettres, à la réputation littéraire déjà assurée, qui pour certaines tiennent salon. Après avoir connu un temps de reconnaissance, de liberté littéraire sous le Directoire, elles sont profondément freinées par le backslash (retour de bâton) napoléonien. Et ripostent. Rien qu’en continuant à écrire, rien qu’en étant publiées, ces femmes refusent et transgressent la remise en ordre qui s’opère.

Alors certes, il faut jouer avec la double censure politique et de genre, car le régime impérial n’est pas prompt à tolérer des paroles critiques et encore moins de la part de femmes. Caroline Fayolle analyse justement les stratégies déployées par ces femmes de lettres pour jouer avec les obstacles que l’Empire dresse devant elles.

Les deux organes se présentent d’abord comme des feuilles littéraires, soucieuses d’art, de culture ou de sciences, d’apparence éloignées de la politique, afin de ne pas trop effrayer les censeurs tout en restant sagement dans les assignations de genre. L’Athénée des dames précise ainsi à sa première publication que le journal respectera la « Religion, les Mœurs et le Gouvernement. »

Mais les rédactrices prennent alors un malin plaisir à rendre hommage d’abord aux savantes, aux écrivaines, comme Madame de Sévigné, Émilie du Châtelet ou Madame de Staël. Il s’agit de valoriser l’intelligence des femmes, et ce à l’heure où l’on les prive de l’accès à l’éducation et où des médecins se pressent de le justifier, poids des cerveaux et taille des cranes féminins à l’appui.

Mais plus encore, des propos féministes, ouvertement transgressifs – contre le Code civil, la puissance maritale et les violences conjugales, pour le droit à l’éducation, tout en affirmant l’égalité de nature entre les hommes et les femmes – sont savamment distillés au cœur des articles littéraires ou des récits de soirée au théâtre, pour mieux tromper les censeurs. Comme on donne un bonbon à un enfant pour qu’il se tienne sage, les autrices alimentent aussi de temps en temps leur journaux de papiers à la gloire de l’empereur. Un papier sur l’héroïsme des femmes est ainsi dans le même numéro du Petit Magasin des Dames de 1807 immédiatement suivi par un autre qui compare à grand renfort de superlatifs Napoléon au dieu Mars. Caroline Fayolle révèle enfin une autre stratégie pour porter la charge : la glisser habilement dans un courrier des lecteurs, les rédactrices du journal s’empressant (s’amusant aussi sans doute) de s’en offusquer !

On pourra noter que quelques cinquante ans plus tard, sous un autre empire, un autre Bonaparte qui comme son oncle piétinait la liberté de la presse, d’autres femmes surent renouer avec les stratégies de leurs grandes sœurs du premier Empire. Ainsi d’Olympe Audouard, féministe injustement oubliée, autrice d’un truculent pamphlet Guerre aux hommes récemment réédité par Julien Marsay chez Payot. « Une femme faire un journal ? N’est-ce pas là une prétention tant soit peu ridicule ? Et nos amis ne vont-ils pas s’imaginer déjà nous voir une tache d’encre au bout des doigts ? » ironise-t-elle dans le premier éditorial du journal qu’elle crée en janvier 1861, Le Papillon. Un titre qu’elle choisit pour rassurer, jouer avec les assignations de genre aussi : « Notre journal s’appelle le Papillon. C’est assez dire que nous ne sommes point pédantes et que nous aspirons avant tout à être une chose légère, ailée, voltigeante… ». Mais comme les rédactrices de l’Athénée des Dames, Olympe Audouard ne se prive pas de défendre dans ses colonnes la cause féministe, qu’elle nomme « le cri social du XIXe siècle » dans un édito du 25 aout 1862, dénonçant toutes les exclusions, les privations de droits, les inégalités dont les femmes sont victimes.

Toutes ces femmes ont su saisir les failles du régime de la presse, investir les rares espaces de liberté qui échappaient à la surveillance des censeurs pour porter leurs revendications d’égalité.

 

[1] Caroline Fayolle, « La résistance à la hiérarchisation des sexes dans la presse du Consulat et de l’Empire », in Christine Planté et Marie-Êve Thérenty, Féminin/Masculin dans la presse du XIXe siècle, Lyon, P.U.L, 2022.

➯ Prochain épisode : les journaux des révolutionnaires de 1830 et 1848

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