Extrême droite : enquêter plutôt que commenter

Le choix du FPL de financer des enquêtes sur l’extrême droite s’inscrit dans un débat vieux d’au moins quarante ans. Aujourd’hui, alors que ses propagandistes sont installés dans des médias de masse devenus usines à fake news et que le RN est au seuil du pouvoir, il est urgent d’encourager un « journalisme de faits » qui dévoile le fonctionnement de cette mouvance.

Le débat est vieux d’au moins quarante ans : comment informer sur l’extrême droite et son projet fondé sur l’inégalité et la discrimination ? Le 13 février 1984, le journaliste François-Henri de Virieu, responsable de L’Heure de Vérité, émission politique phare de l’époque, choisit d’accueillir durant près d’une heure trente Jean-Marie Le Pen. L’impact est énorme et les polémiques qui s’ensuivent à la hauteur du choc politique créé par le dirigeant du Front national, qui sort grand gagnant de l’exercice télévisuel.

La presse grand-public parle alors d’un Le Pen qui « se normalise ». Vingt-cinq plus tard, cette même presse de masse entamera une très longue séquence sur la « dédiabolisation de Marine Le Pen » et du vieux parti familial transformé en Rassemblement national… Les dirigeants de l’extrême droite, député·es et présidente du RN, sont aujourd’hui interviewé·es chaque jour avec, généralement, comme principe politique de ne pas répondre aux questions posées. Les commentateurs et éditocrates de plateaux télévisés se chargeront ensuite de disserter, et donc de se faire l’écho, de ces déclarations.

Quelques rares médias (Mediapart, StreetPress, Le Monde) ont, depuis des années, une tout autre stratégie d’information. Inutile de publier de longs entretiens de dirigeants d’extrême droite pour leur laisser installer leur propagande et leurs post-vérités. L’enjeu central est d’abord de publier des informations précises et inédites sur le fonctionnement de cette mouvance politique, l’organisation et le recrutement de ses militants, ses débats et désaccords internes. Des faits, donc, des faits incontestables plutôt que des commentaires et des questions.

L’appel à projets « Extrême droite : enquêter, révéler, démonter » s’inscrit clairement dans cette tendance. Pour le dire autrement, notre démarche s’inspire modestement des réflexions d’un homme, tout à la fois marginal et central dans l’histoire du journalisme contemporain, Robert Ezra Park (1864-1944). Longtemps journaliste dans plusieurs villes des Etats-Unis, Park deviendra ensuite sociologue et sera durant des années l’un des piliers de l’école de sociologie de Chicago.

Robert Ezra Park a beaucoup écrit sur le journalisme, son pouvoir, sa mission sociale. Citons juste deux phrases qui, aujourd’hui encore, peuvent définir une méthode de travail pour traiter de l’extrême droite :

« La valeur du journaliste consiste essentiellement sur sa capacité à rapporter des faits ‘’objectifs’’, des faits tels que les parties en débat les acceptent comme des faits, même si elles peuvent être en désaccord quant à leur interprétation ».

« Un journaliste en possession de faits est un réformateur plus efficace qu’un éditorialiste qui se contente de tonitruer en chaire ».

Ces « vérités de faits » sont aujourd’hui écrasées par les avalanches de fake news déclenchées par les propagandistes d’extrême droite. Il suffisait, mercredi soir 13 novembre, de regarder CNews pour prendre la mesure de cette puissance de désinformation. Commentant les réquisitions du parquet dans le procès des assistants du RN, parquet qui demande la condamnation et l’inéligibilité immédiate de Marine Le Pen pour cinq ans, les voix de CNews ont tout ignoré des faits révélés par l’instruction judiciaire puis par l’audience, ont tout ignoré  des législations sur le financement des partis, pour mieux dénoncer « le gouvernement des juges », la « machination » et le « complot politique ». Comme Donald Trump n’a cessé de le faire, cerné par de multiples affaires judiciaires…

Ces quinze dernières années, ce sont bien l’établissement de faits qui ont contribué à expliquer la vraie nature de l’extrême droite et de son vaisseau amiral, le RN. Les révélations par Mediapart des financements russes du RN comme de ses liens avec de nombreux dignitaires et oligarques du Kremlin, le travail méthodique de StreetPress sur la galaxie des groupuscules ultras, les enquêtes jamais démenties du Monde, au début des années 2000, sur le passé de tortionnaire en Algérie de Jean-Marie Le Pen, ont mieux aidé à connaître et comprendre l’extrême droite que d’innombrables interviews et commentaires.

Et les dernières élections législatives l’ont confirmé. C’est bien la production d’informations qui a enrayé la campagne d’entre-deux tours du RN et de Jordan Bardella. La révélation par des médias indépendants des CV d’une centaine de candidats RN, de leurs déclarations racistes et antisémites, de leur incompétence, a brisé net la dynamique de l’extrême droite.

D’où cet appel à projets « Extrême droite : enquêter, révéler, démonter ». Le FPL va contribuer à financer des enquêtes de journalistes et médias indépendants sur cette mouvance politique. Avec l’espoir de produire de nouvelles informations par des investigations poussées et rigoureuses.

Merci de votre soutien qui rend possible le lancement de ce projet.

François Bonnet

Président du FPL

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