Mediapart brise la censure, Reflets.info doit encore attendre

L’interdiction faite à Mediapart de publier une enquête sur le maire de Saint-Etienne a été cassée le 30 novembre par le tribunal de Paris. En revanche, la censure frappant Reflets.info, à la demande de Patrick Drahi, se poursuit en attendant une décision de la cour d’appel de Versailles le 19 janvier prochain. Au cœur de ces deux affaires, un avocat, Christophe Ingrain.


Mediapart aura donc été frappé par la censure durant douze jours. Ses informations interdites de publication se révèlent pourtant d’un intérêt public évident puisqu’elles dévoilent les pratiques politiques répugnantes de Gaël Perdriau, ancien maire Les Républicains (il a été exclu du parti à la mi-octobre). En l’occurrence, la mise en place d’une calomnie gravissime visant Laurent Wauquiez, président LR du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes et potentiel candidat à la présidence de la République en 2027 (lire l’article de Mediapart publié le 30 novembre, aussitôt la censure levée).

Nous avions expliqué (notre précédent article) comment cette censure avait été ordonnée le 18 novembre par la vice-présidente du tribunal judiciaire de Paris, Violette Baty, dans le cadre d’une procédure invraisemblable jamais utilisée dans une affaire de presse et contournant la loi de 1881 sur la liberté de publication.

Christophe Ingrain, avocat du maire de Saint-Etienne, avait argué d’une urgence extrême afin d’éviter une atteinte grave à la vie privée, pour demander qu’il n’y ait pas de débat contradictoire, c’est-à-dire que Mediapart ne puisse pas faire valoir ses arguments, et que la censure soit ordonnée sur le champ. Ce qui fut fait par Violette Baty.

Après la saisie en référé de Mediapart, soutenu par la quasi-totalité de la profession et des avocats spécialistes du droit de la presse, la même magistrate a choisi le 30 novembre d’annuler l’ordonnance qu’elle avait elle-même signée. 

Dans cette « rétractation » (son ordonnance est ici), elle explique avoir été trompée par l’avocat du maire de Saint-Etienne, évoquant dans sa décision « une rétention d’éléments d’information » et un « défaut d’informations ». Deux exemples : au moment où il demandait la censure, Gaël Perdriau continuait à répondre par écrit au journaliste de Mediapart ; les précédents articles publiés par ce titre, et utilisant des informations issues des mêmes enregistrements, n’avaient pas été contestés ou poursuivis par le maire.

Violette Baty prend acte. «« Ces différents éléments […] ne permettent pas de caractériser […] l’existence de circonstances suffisantes justifiant une dérogation au principe de la contradiction », écrit la juge dans son ordonnance, qui condamne finalement Gaël Perdriau à verser 9 000 euros à Mediapart.

La magistrate estime pourtant que la procédure utilisée, qui contourne le droit de la presse, n’est pas proscrite en droit. Tout juste concède-t-elle qu’elle peut constituer vis-à-vis de la presse un « traitement judiciaire exorbitant », avec un risque d’être dévoyée dans le but d’ « instituer un contrôle a priori de toute publication, aboutissant dans ce cas à une censure préventive ». Le risque demeure donc qu’une telle procédure soit à nouveau utilisée dans l’avenir.

Si la victoire de Mediapart, avec l’appui inédit de multiples organisations et sociétés de journalistes, est claire et nette, Reflets.info, également frappé par une censure préalable à publication, doit encore attendre. Ce même 30 novembre, le journal était devant la cour d’appel de Versailles pour demander que soit cassée l’ordonnance de référé lui interdisant de publier « toute nouvelle information sur le groupe Altice », propriété du magnat des télécoms Patrick Drahi.

L’avocat Christophe Ingrain, toujours lui, a obtenu pour le groupe Altice cette décision de censure préalable le 6 octobre (lire ici l’ordonnance de référé). La cour d’appel ne se prononcera que le 19 janvier prochain. Même en cas de victoire de Reflets.info, la censure aura couru trois mois et demi, un préjudice exceptionnel pour le droit à l’information des citoyennes et citoyens, et pour le titre. Dès la mi-octobre, le Fonds pour une presse libre avait initié un appel, depuis signé par plus de cent médias et organisations professionnelles, titré « Patrick Drahi ne nous fera pas taire ! » et dénonçant cette décision liberticide.

L’audience du 30 novembre devant la cour d’appel a mis en difficulté l’avocat Christophe Ingrain (lire ici un compte-rendu de l’audience), la présidente multipliant les questionnements et rappelant que le secret des affaires, jusqu’alors invoqué pour demander la censure, n’est pas opposable lorsque les informations incriminées ont été obtenues « pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d’information ».

Il est assez rare de voir un avocat (certes à la demande de clients) engager deux procédures liberticides visant à mettre à bas l’équilibre construit par la loi de 1881. Ancien magistrat, Christophe Ingrain fut membre du cabinet du ministre de la justice Pascal Clément, en 2005 sous Jacques Chirac, puis conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée de 2007 à 2010. Il a depuis rejoint le puissant cabinet d’avocats d’affaires Darrois Villey Maillot Brochier. 

Au XIXe siècle, le caricaturiste André Gill avait représenté la censure sous les traits de « Madame Anastasie », une mégère armée de longs ciseaux. En ce début de XXIe siècle, voici la censure incarnée par un homme. Enfin la parité !, peut-on seulement se consoler.

François Bonnet
président du FPL

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