Pourquoi il est essentiel de défendre nos médias publics

La réforme de l’audiovisuel public, menée au pas de charge par la ministre Rachida Dati, est une escroquerie économique qui masque mal la volonté d’une reprise en main politique par l’exécutif, à nouveau allié en cette occasion à la droite et l’extrême-droite. Le danger est majeur : mettre sous tutelle les médias publics, par définition au service du public, pour en faire des médias d’Etat.

Les deux journées de grève dans l’audiovisuel public les 23 et 24 mai, appelées par l’ensemble des syndicats de salariés et des sociétés de journalistes de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA (15.000 salariés au total), s’annonçaient dès ce jeudi matin massivement suivies. L’Assemblée nationale doit en effet adopter vendredi une proposition de loi de la droite sénatoriale votée en juin 2023 et depuis reprise et réécrite par l’exécutif et la ministre de la Culture Rachida Dati.

De quoi s’agit-il ? D’une réforme a priori technique mais dont les conséquences sont immenses quant à l’indépendance, au pluralisme et à la qualité de nos médias publics. Le gouvernement, avec le soutien actif de la droite et de l’extrême-droite, prévoit de créer au 1er janvier 2025 une société holding qui chapeautera l’ensemble de l’audiovisuel public puis, un an plus tard, de fusionner France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA en une société unique. Son président serait nommé par l’Arcom (autorité de régulation des communications, ex-CSA, dont le président est lui-même nommé par l’Elysée). Le détail de la réforme est expliqué ici.

Emmanuel Macron avait tenté cette réforme dès 2017, via son ministre de la Culture d’alors, Franck Riester, avant de renoncer en 2019 : la crise du Covid allait enterrer le texte. Cinq ans plus tard, revoilà cette réforme, cette fois portée par Rachida Dati, qui veut en finir au plus vite.

Déterminée à ce qu’une loi porte son nom avant de se lancer dans la bataille pour la Mairie de Paris en 2026, la ministre, par ailleurs mise en examen pour « corruption » et « trafic d’influence passif par personne investie d’un mandat électif public », court les plateaux avec un seul argument : « Je veux un service public plus fort, pour cela il faut rassembler ses forces qui sont aujourd’hui très dispersées ». Et de citer en exemple la BBC et la puissance du service public britannique…

Dans une tribune récente, Sophie Taillé-Polian, députée écologiste du Val-de-Marne, et Alexis Lévrier, historien des médias, dénoncent cet « argument marketing d’une BBC à la française ». En soulignant que la puissance et la qualité de la BBC reposent sur un budget de 6,5 milliards d’euros -contre 3,5 milliards pour l’audiovisuel public français- et sur une très longue histoire d’indépendance. En France, le malheureux précédent d’une société unique de l’audiovisuel public est celui de l’ORTF, restée soumise aux pressions des pouvoirs politiques successifs.

Dans une autre tribune publiée mercredi 22 mai et signée par toutes les sociétés de journalistes des médias publics, cet argument du « regroupement des forces » est démonté. « Non, les médias audiovisuels publics ne seront pas plus forts ensemble », est-il écrit. Quant à la BBC, le « modèle » est en crise : « En dix ans, le groupe britannique a perdu 30 % de son budget, et 1 800 emplois ont été supprimés. La fusion entre les deux chaînes d’information du groupe, BBC News et BBC World Service, a entraîné une baisse du nombre de téléspectateurs à l’étranger ».

Comment alors justifier une fusion des médias publics qui n’ont jamais été aussi performants, malgré la suppression de la redevance qui menace la pérennité de leur financement ? Les radios publiques, France Inter en tête, dominent largement dans les mesures d’audience. Elles innovent, comme en témoignent l’énorme développement des podcasts, en particulier sur France Culture. Ces médias publics collaborent : l’exemple le plus réussi est sans doute la chaîne télé d’information en continu France Info née d’un partenariat entre France Télévisions et Radio France. Des réseaux de journalistes correspondants sont d’ores et déjà mutualisés, tout comme des moyens techniques.

« Ne brisez pas un service public qui marche ! », avertissent dans un appel plus de 1 400 salariés des équipes de Radio France. « Vouloir fusionner tout l’audiovisuel public nous semble démagogique, inefficace et dangereux », écrivent-ils. « Pourquoi le gouvernement orchestre-t-il ce mariage entre radios et télévisions à un train d’enfer ? Pourquoi faire voter cette loi sans concertation ? Quelle est la véritable nature de ce projet ? Nous posons ces questions, nous n’obtenons aucune réponse, si ce n’est de creux éléments de langage : ‘’Il faut renforcer l’audiovisuel public’’. »

De longue date, la droite sénatoriale, rejointe par le gouvernement, dénonce la supposée gabegie financière, la bureaucratisation, les doublons et la mauvaise gestion des médias publics. La fusion en une société unique serait la recette miracle, même si rien ne le démontre, bien au contraire. Comme toujours, les mêmes formules magiques sont énoncées : « synergies », « rationalisation », « économies d’échelle », « mutualisation », etc.

Mais la novlangue managériale vient appuyer d’autres critiques, politiques cette fois, portées par la droite, relayées par l’Elysée, sans oublier l’offensive généralisée de l’extrême-droite et des médias ultras du groupe Bolloré. Les médias publics seraient un repaire de journalistes de gauche, voire de gauchistes, voire d’islamo-gauchistes, d’éco-terroristes en puissance avec, pire encore, selon les standards Cnews et Le Figaro, des « wokistes » partout ! Quand ce ne sont pas des ministres, Rachida Dati en tête, les parlementaires macronistes n’hésitent plus à dénoncer les « parti-pris » et « biais idéologiques » supposés gauchistes des médias publics…

A celles et ceux qui douteraient de l’ineptie économique comme de la dangerosité politique d’une telle réforme, cinq anciens ministres de la culture -de droite comme de gauche- l’ont condamnée dans des termes particulièrement sévères, même si ironiques, dans le cadre très officiel d’une commission d’enquête parlementaire. Interrogés le 28 mars sur la pertinence de cette réforme de l’audiovisuel public, voici des extraits de leurs explications (la totalité est à lire ici, en dernière partie de ce long document).

Rima Abdul-Malak (ministre de la Culture 2022-2024) : « J’estime qu’une holding, préalable ou pas à une fusion, n’est pas indispensable ; des rapprochements sont à mon sens possibles par le bas, en faisant confiance aux équipes et en fixant des objectifs précis, en inscrivant des réformes dans les contrats d’objectifs et de moyens, avec une trajectoire sur cinq ans et une enveloppe budgétaire complémentaire accessible sous conditions, comme nous l’avons fait. Nous pensions ainsi arriver à des synergies sans grand Meccano institutionnel. J’avais regardé ce qui s’était passé quand France Télévisions est devenue France Télévisions. Pour construire cette holding, puis faire la fusion envisagée, il faudrait neuf à douze ans. Face à l’urgence imposée par les réseaux sociaux et l’hégémonie des plateformes, il m’a paru préférable de mettre ce temps et l’énergie nécessaire au service de nos priorités stratégiques. »

Roselyne Bachelot (ministre de la Culture 2020-2022). « Je suis une vieille bête de la vie politique ; depuis le temps qu’on nous vend des fusions comme devant conduire à des économies et à un meilleur fonctionnement, et qu’on ne voit que des dérives des coûts de gestion des holdings, on ne me la fait plus ! On en parlait sur l’intercommunalité, sur la fusion des régions… On en parle maintenant pour l’audiovisuel public.
On achètera un superbe immeuble, qu’on peuplera avec un président, qui aura une voiture de fonction, des directeurs et des directrices, qui se soucieront de la diversité et de l’égalité entre les hommes et les femmes, des collaborateurs… Et pour cela, on mettra à feu et à sang les sociétés de l’audiovisuel public ».

Renaud Donnedieu de Vabres (ministre de la Culture 2004-2007). « Je vais être caricatural : chaque minute passée à des réflexions structurelles certainement très importantes mais moins urgentes, moins stratégiques, est une minute passée à ne pas réfléchir, face à la violence de l’air du temps, aux liens, à la paix, au respect, à l’identité de chacun. Revenons-en à l’essentiel et à l’urgence. L’urgence, c’est aujourd’hui le feu qui règne dans les cœurs et les esprits ; elle n’est pas dans les débats de structure ».

Jacques Toubon (ministre de la Culture 1993-1995). « Très franchement, le Parlement ne rendrait pas service au pays en décidant de mettre le doigt dans l’engrenage d’un débat qui serait au mieux superfétatoire, et plus probablement détestable. Mes collègues ont dit très exactement ce qu’il fallait dire – ou alors, cela voudrait dire qu’on n’a aucune idée sur l’audiovisuel, sur son rôle dans la culture, sur les questions de liberté de l’information, de diversité et d’absence de concentration, et qu’on préfère appliquer à toutes ces questions parfois difficiles, douloureuses, un placebo qui s’appellerait la fusion ».

Fleur Pellerin (ministre de la Culture 2014-2016). « La contribution de l’audiovisuel public à la diversité des opinions et au pluralisme des idées est beaucoup plus importante que des réflexions structurelles dont, comme l’ont dit mes collègues, on n’est absolument pas sûr qu’elles apporteraient les fameuses synergies et ne seraient pas, au contraire, des cataplasmes coûteux. L’adjonction d’étages de gouvernance ne garantirait pas un meilleur fonctionnement, un meilleur respect de ces principes auxquels nous sommes très attachés ni une meilleure utilisation des deniers publics. Je suis donc moi aussi plutôt opposée à ce que l’on perde du temps sur ces questions ».

Que dire de plus ? Que les médias publics sont un bien public des citoyennes et citoyens, et non les leviers d’influences de responsables politiques. D’innombrables textes européens (convention européenne des droits de l’homme, charte des droits fondamentaux, multiples délibérations du Conseil de l’Europe comme du parlement européen) font de la puissance et surtout de l’indépendance des services publics d’information un indicateur clé de la vitalité démocratique d’un pays. C’est aujourd’hui cela qui est en jeu en France, et particulièrement dans ce moment où l’extrême-droite apparaît aux portes du pouvoir.

François Bonnet
président du FPL

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