Concentration des médias : le Sénat fait Pschitt

Sans grande surprise, la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias a formulé 32 propositions qui ne se distinguent que par leur vacuité. Il est vrai que pour la droite sénatoriale, majoritaire, cette concentration ne pose pas de problèmes particuliers…

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Et les gagnants sont… Vincent Bolloré et Martin Bouygues ! Les deux magnats de l’industrie et des médias vont pouvoir tranquillement achever, d’ici la fin de l’année, les énormes opérations de concentration annoncées depuis des mois. Pour Bolloré, la prise de contrôle du groupe Lagardère (télévision, radio avec Europe1, RFM et Virgin, presse avec le Journal du dimanche et Paris-Match) ; pour Bouygues, la fusion TF1 et M6 (aujourd’hui propriété du groupe allemand Bertelsmann).

Ce sont ces deux méga projets qui avaient incité le groupe socialiste au Sénat à demander, à l’automne 2021, la création d’une commission d’enquête sur les effets de la concentration. Après quatre mois de travaux, cette commission ne répond malheureusement à aucun des espoirs formulés par les nombreuses personnes auditionnées en tant que représentantes des journalistes et des médias indépendants.

La droite sénatoriale (Les Républicains et les centristes), soutenue par les quelques élus de La République en marche, a bloqué toute proposition de réformes permettant d’enrayer les phénomènes de concentration et leurs effets néfastes sur le pluralisme et la qualité de l’information. Le rapporteur David Assouline (PS) a dû écarter quelques propositions plus énergiques pour que son rapport puisse être adopté et rendu public (lire les explications de vote des différents groupes à la fin du tome I du rapport).

Les 32 propositions finalement émises (elles peuvent être lues ici) ne sont que d’affichage ou de ravalement à la marge de lois vieillissantes ou peu appliquées. Les seuils de concentration ne sont pas revus. Les intégrations dites « verticales » ou « diagonales » restent possibles. Les pouvoirs de contrôle de l’Arcom (ex-CSA) ne sont pas renforcés. La loi communication de 1986, totalement obsolète (elle date d’avant Internet !), n’est pas rebâtie, etc.

Quant à la protection de l’indépendance des rédactions, la commission avance quelques mesurettes qui feront sourire tous les connaisseurs. Il ne s’agit que de vaguement renforcer les comités d’éthique institués par la loi Bloche de 2016 et d’informer les rédactions en cas de changement de directrice ou directeur de l’information.

Auditionné par la commission le 28 janvier (la vidéo de cette audition est à voir ici), le Fonds pour une presse libre avait formulé et relayé plusieurs propositions qui font aujourd’hui consensus chez les organisations de journalistes. Par exemple :

  • Doter les sociétés de journalistes d’un véritable statut juridique pour qu’elles puissent aller en justice
  • Donner aux journalistes un droit sur la nomination et la révocation des responsables de rédaction
  • Décider de la présence de journalistes au conseil d’administration des entreprises de presse.
  • Créer deux nouveaux délits de presse, comme le demande le collectif Informer n’est pas un délit : celui de trafic d’influence ; celui de censure
  • Annexer au contrat de travail des journalistes le texte de référence de la Charte de Munich, qui définit les droits et les devoirs des journalistes.

La commission a choisi d’écarter ces cinq propositions simples qui ne nécessitaient pas de construire une « cathédrale législative » pour être appliquées.

Le FPL avait également demandé que les quelques mesures de transparence prévues par la loi soient respectées, ce qu’elles ne sont pas aujourd’hui. Et que ces mesures soient également renforcées :

  • Publication des actionnaires directs et indirects de chaque média
  • Publication des pactes d’actionnaires conclus entre propriétaires d’un média
  • Publication des comptes des titres et pas seulement des comptes consolidés de groupe
  • Publication du détail des aides publiques versées par titre et par groupe, ce que le ministère de la culture rechigne à faire depuis deux ans
  • Publication du détail des aides versées par les collectives locales aux médias, car là est sans doute le plus grand lieu de censure et d’influence.
  • Réforme des aides publiques à la presse en introduisant un critère d’attribution qui est celui de l’indépendance des médias aidés.

Seule consolation de ce rapport de la commission : les propositions 19, 20, 27 et 28 reprennent certaines de ces propositions, sur la réforme des aides publiques et sur la transparence des actionnaires directs et indirects de chaque média ainsi que sur les pactes d’actionnaires.

Le bilan est donc bien maigre, squelettique même. Et l’urgence de réformer en profondeur un système médiatique, où existent désormais des médias de la haine qui ont fabriqué un polémiste d’extrême-droite multi-condamné en un candidat à la présidentielle, cette urgence est oubliée.

Les propositions sénatoriales -dont le pouvoir exécutif ne voulait d’ailleurs pas- seront très vite oubliées, jetées dans les profondes oubliettes parlementaires. Il restera malgré tout un rapport intéressant par l’état des lieux qu’il dresse et surtout par la richesse des auditions retranscrites qui sont publiées dans le tome II de ce rapport (c’est à lire ici).

82 personnes ont été entendues par la commission d’enquête lors de débats qui ont duré une centaine d’heures. Ces témoignages et analyses ont au moins le mérite d’exister. Elles sont autant de jalons pour les batailles citoyennes et professionnelles qui doivent être engagées. Au nom du pluralisme et de la liberté d’informer.

François Bonnet

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