Concentration des médias: les propositions du FPL au Sénat

Le Fonds pour une presse libre a été auditionné, vendredi 28 janvier 2022, par la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias et « l’impact de cette concentration sur la démocratie ». Cela a été l’occasion pour son président, François Bonnet, de faire un état des lieux de la situation française, atypique en Europe, et d’exposer les propositions du FPL pour soutenir la presse indépendante, la liberté et le pluralisme de l’information.

Cette commission d’enquête sénatoriale a été créée à la demande du groupe socialiste, écologiste et républicain. Son président est Laurent Lafon, sénateur Union centriste du Val-de-Marne. Son rapporteur est David Assouline, sénateur socialiste de Paris. La commission a débuté ses travaux et ses auditions en décembre dernier et annonce vouloir rendre son rapport début mars.

Nous reproduisons ci-dessous le propos liminaire tenu au nom du FPL, puis en réponse aux questions des parlementaires, l’essentiel des propositions du Fonds pour lutter contre la concentration et réformer le système des aides à la presse.

« Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, merci d’accepter d’entendre le Fonds pour une presse libre, ses analyses et ses propositions.

1/ Pourquoi avoir créer ce Fonds dont la mission première, reconnue d’intérêt général, est d’aider à la liberté et au pluralisme de l’information ?

Parce que nous avons fait un constat aujourd’hui largement partagé. Il y a bel et bien une crise d’indépendance des médias, et cette crise détruit progressivement le droit des citoyennes et des citoyens à une information pluraliste et de qualité.

Puisque votre commission est chargée d’évaluer les effets d’une concentration sur la qualité de notre vie démocratique, je voudrais insister sur un point peu évoqué devant vous. Il y a certes quelques médias de qualité, de très bons professionnels, un service public puissant. Mais ce qui me frappe -je suis journaliste depuis 41 ans- c’est, de manière générale, la médiocrité de l’information dans notre pays.

La demande d’information, grâce à la révolution numérique, n’a jamais été aussi forte. Tant mieux ! Or l’offre globale d’information, elle, n’a jamais été aussi faible.

Pourquoi ? Parce qu’elle est conformiste, redondante, mal hiérarchisée, trop institutionnelle. Tout le monde copie tout le monde. C’est une information qui est trop souvent sans qualités, sans plus-values, une info low-cost produite par des journalistes précarisés, alimentés par des dépêches reproduites à l’infini.

Les chaînes d’info sont devenues des chaînes de bavardages, quand elles ne sont pas des vecteurs de propagande pour l’extrême droite et ses fake news.

Dans la presse écrite, les réseaux de correspondants à l’étranger ont été réduits, liquidés parfois. Le récit et la compréhension du monde sont sous-traités à des pigistes mal payés ou à des agences de presse.

L’information économique dans la presse générale est indigne, celle sur le monde du travail quasi-inexistante.

Le photojournalisme a été comme broyé. Les enquêtes sont de plus en plus rares. L’information locale est dévastée, dépendante des services de communication des collectivités locales.

C’est évidemment assez douloureux à dire, mais nous avons l’un des systèmes d’information les plus médiocres en Europe, si on accepte de se comparer à nos voisins européens de taille semblable. Regardez la puissance et la qualité de la presse allemande. La diversité et le dynamisme de la presse espagnole. La vivacité et l’inventivité de la presse britannique.

Notre presse est en retard. Et cela donne deux choses :

La première, c’est un débat public souvent hors-sol, où peuvent s’installer, et cela depuis des mois, les délires racistes d’un polémiste multi-condamné et devenu candidat à la présidentielle.

La seconde, c’est un décrochage violent entre les publics et les médias, c’est une défiance qui ne cesse de s’amplifier et dont je dois reconnaître qu’elle me semble assez justifiée.

2/ Pourquoi autant de « mal info » ?

Vous avez parlé de concentration, d’hyper concentration, de concentration accélérée. J’insisterai pour ma part sur la structure de propriété des médias. La révolution intervenue ces quinze dernières années est bien la prise de contrôle de l’essentiel du système médiatique privé par des hommes d’affaires dont les intérêts ne sont pas dans les métiers de l’information mais dans l’armement, le BTP, le luxe, la téléphonie, la finance et la banque.

Ces industriels ne connaissent pas les métiers de l’information. Ils achètent de la protection et de l’influence, ils ne pensent pas développement, prise de risque, innovations.

3/ Où sont leurs innovations ? Qu’ont-ils donc créé depuis quinze ans ? Rien.

Ils ont détruit de la valeur, fait des plans sociaux, accumulé les pertes, Ils ont raté la révolution numérique. Ils se sont gardés d’investir pour mieux ouvrir le robinet des aides publiques qui représentent aujourd’hui près du quart de leur chiffre d’affaires.

4/ C’est ailleurs que s’invente le futur et se reconstruit le journalisme. Dans cette galaxie diverse de plusieurs centaines de médias indépendants. Juste quelques exemples :

Qui invente le modèle d’abonnement à des journaux numériques ? Deux titres indépendants, Mediapart et Arrêt sur images, deux titres qui sont bénéficiaires depuis des années et ne cessent d’investir dans de nouveaux contenus.

Qui invente la radio numérique, de nouveaux modes de récit audio et les podcasts ? Arteradio et France Culture, donc le service public, vite suivis par de nombreux sites indépendants.

Qui reconstruit le lien avec les lecteurs, grâce au participatif que permet le numérique ? Des titres indépendants.

Qui relance un journalisme offensif d’enquête étouffé dans les médias classiques ? Mediapart suivi par beaucoup d’autres, Disclose, Street Press, Médiacités, Blast aujourd’hui.

Qui invente de nouveaux formats vidéo, en direct ou en replay, émission de plateau ou reportage ou enquête vidéo ? tous ces titres indépendants qui ont les moyens de les produire

Qui bouscule les vieux monopoles construits par les quotidiens régionaux et renouvelle l’information locale ? Marsactu à Marseille, site bénéficiaire, Mediacités à Lille, Lyon, Nantes, Toulouse, Le Poulpe à Rouen et en Normandie.

Qui explore de nouveaux champs d’information ? Reporterre, Basta, Orient XXI, La Déferlante, Splann sur l’agro-industrie en Bretagne, Radio Parleur.

Je pourrai poursuivre. Cette presse indépendante sert aujourd’hui de laboratoire et d’aiguillon. Elle compte chaque jour des millions de lecteurs, d’auditeurs, de spectateurs. Pas à pas, elle construit un nouvel écosystème d’information.

Elle le fait en étant, de fait, interdite bancaire, n’ayant pas accès aux crédits des établissements financiers. Elle le fait en étant massivement discriminée dans l’attribution des aides publiques. Elle le fait dans une concurrence déloyale et faussée par les médias de nos hommes d’affaires milliardaires qui, après avoir accaparé les aides publiques pour en faire une rente, organisent une autre rente, privée cette fois-ci, par des accords secrets avec les Gafam.

Dans ce paysage général, la mission du Fonds pour une presse libre est justement d’aider ces titres indépendants. A financer des projets éditoriaux innovants ; des développements techniques. A remettre le journalisme debout et là où il doit être : au service des citoyennes et citoyens.

Je vous remercie et répondrai avec plaisir à vos questions. »

 

Quelques propositions du Fonds pour une presse libre

Le FPL demande déjà que les quelques mesures de transparence prévues par la loi soient respectées, ce qu’elles ne sont pas aujourd’hui. Et il est impératif de les renforcer. Des choses évidentes, simples, peuvent aider à restaurer la confiance du public : savoir qui est qui, et qui fait quoi. Nous demandons donc les mesures suivantes :

  • Publication des actionnaires directs et indirects de chaque média
  • Publication des pactes d’actionnaires conclus entre propriétaires d’un média
  • Publication des comptes des titres et pas seulement des comptes consolidés de groupe
  • Publication du détail des aides publiques versées par titre et par groupe, ce que le ministère de la culture rechigne à faire depuis deux ans
  • Publication du détail des aides versées par les collectives locales aux médias, car là est sans doute le plus grand lieu de censure et d’influence.

 

Renforcement des droits des journalistes

La loi dite Bloche de 2016 s’étant révélée inefficace ou non respectée, il importe là encore de créer de nouvelles dispositions

  • Doter enfin les sociétés de journalistes d’un véritable statut juridique pour qu’elles puissent aller en justice
  • Donner aux journalistes un droit sur la nomination et la révocation des responsables de rédaction
  • Décider de la présence de journalistes au conseil d’administration des entreprises de presse.
  • Créer deux nouveaux délits de presse, comme le demande le collectif Informer n’est pas un délit : celui de trafic d’influence ; celui de censure
  • Annexer au contrat de travail des journalistes le texte de référence de la Charte de Munich, qui définit les droits et les devoirs des journalistes.

 

Réformer radicalement le système des aides publiques à la presse

Ce système d’aides a fait l’objet d’innombrables rapports qui ont dénoncé son obsolescence, son opacité, son inefficacité et la gabegie budgétaire.

La puissance publique n’a pas à financer des médias qui appartiennent aux industriels les plus puissants de ce pays. Personne ne peut comprendre et accepter que l’essentiel de ces aides soient aujourd’hui versées à des médias adossés à d’immenses fortunes privées. Elle doit concentrer ses aides sur ce vaste secteur émergent, celui de la presse indépendante.

Elle doit le faire en introduisant un critère d’attribution qui est celui de l’indépendance des médias aidés.

C’est quoi un média indépendant ?

Si l’on reprend la définition du SPIIL (syndicat de la presse indépendante d’information en ligne), une entreprise indépendante, c’est une entreprise au service d’elle-même, et non d’intérêts industriels, commerciaux ou politiques tiers.

Ce peut être un média contrôlé par son équipe, par ceux qui le produisent.

Dans le cas d’une société contrôlée par des actionnaires hors-médias, leur activité doit être évaluée à l’aune d’un conflit d’intérêts entre ces derniers et la structure éditrice.

Dans le cas d’une association, l’indépendance s’apprécie par le fait de disposer de sources de financement diversifiées et d’avoir des responsables ne se trouvant pas dans une situation de conflit d’intérêts.

En complément de cela, sont mis en œuvre les moyens nécessaires permettant d’assurer l’indépendance éditoriale des rédactions, comme évoqué plus haut.

 

Pour en savoir plus

Le FPL avait adressé avant cette audition plusieurs documents à la commission d’enquête sénatoriale. Les principaux sont les suivants :

Les statuts du Fonds pour une presse libre :

https://fondspresselibre.org/statuts

L’Appel des Indépendants : « Ouvrez les fenêtres, lisez la presse indépendante » :

https://fondspresselibre.org/appel-des-indes

Le rapport d’activité du Fonds pour une presse libre en 2020 :

https://fondspresselibre.org/wp/assets/uploads/2021/04/RAA-FPL-2019-2020.pdf

Un article du FPL sur la concentration des médias et l’urgence d’agir :

https://fondspresselibre.org/concentration-des-medias-lurgence-dagir

Un article du FPL sur les aides publiques à la presse :

https://fondspresselibre.org/le-scandale-des-aides-publiques-a-la-presse

Un article du FPL sur l’indépendance des médias :

https://fondspresselibre.org/lindependance-des-medias-une-affaire-de-details

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