C’est un rapport publié au cœur de l’été et passé largement inaperçu. Réalisée par l’inspection des finances et l’inspection des affaires culturelles, cette étude plaide pour une nouvelle régulation de la concentration des médias. Il est peu probable que le gouvernement s’en saisisse au moment où se profile la fusion TF1/M6 et où les milliardaires poursuivent leurs achats de titres de presse.
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Bouclé en mars 2022 mais rendu public seulement cet été, ce rapport réalisé à la demande du ministère de l’économie et du ministère de la culture vient utilement compléter le travail de la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias. Au moins la haute administration et le Parlement reconnaissent-ils que le phénomène accéléré de concentration des médias peut constituer un danger majeur pour l’indépendance du journalisme et l’accès des citoyennes et citoyens à une information « honnête et pluraliste ».
Rédigé dans une langue très administrative et redoublant de prudence en particulier dans son résumé, ce rapport sur « la concentration dans le secteur des médias à l’ère numérique » a néanmoins l’avantage de remettre les choses à plat (il peut être lu ici). Ses annexes regorgent d’informations jusqu’alors restées englouties dans les tiroirs de l’administration.La principale conclusion de ses auteurs est qu’il est nécessaire de mettre en place un nouveau dispositif de régulation de la concentration des médias, en élargissant les pouvoirs de l’Arcom (ex-CSA), autorité indépendante. « Les opérations de concentration dans le secteur des médias d’information devraient être soumises à une autorisation préalable de l’ARCOM au regard de l’objectif de préservation de pluralisme »,notent les rapporteurs.
Ils insistent tout à la fois sur l’obsolescence totale du dispositif actuel hérité de la loi de 1986, et sur le fait « qu’un contrôle des concentrations spécifique aux médias reste nécessaire ». « Dans la mesure où le respect du pluralisme est ‘’l’une des conditions de la démocratie’’, il ne devrait pas pouvoir être mis en balance avec des considérations de nature économique, telles que le bon fonctionnement du marché », ajoutent-ils. Ils répondent ainsi à plusieurs responsables politiques qui estiment qu’une régulation spécifique des médias est inutile, et que la seule Autorité de la concurrence suffit à contrôler ce secteur.
Or l’information n’est pas une marchandise ou un produit comme les autres. Ce rapport note que si le pluralisme est soutenu par l’émergence de nombreux médias sur le numérique, le « degré de la concentration dans la télévision et la radio apparaît élevé ». Cette concentration « pourrait s’accroître à la faveur d’opérations annoncées, notamment la fusion des groupes TF1 et M6. On assiste par ailleurs aussi à un phénomène de concentration sur le marché des télévisions locales ».
Pour ce qui concerne la presse écrite, le rapport note que « La concentration dans le sous-secteur de la presse est élevée pour la presse quotidienne nationale et très forte pour la presse quotidienne locale ».
S’il n’existe pas a priori de « relation mécanique » entre concentration et pluralisme des contenus, le danger est évident pour ce qu’on appelle les médias d’information politique et générale. « L’objectif est d’éviter qu’une même personne, physique ou morale, ne puisse avoir une influence disproportionnée sur la formation de l’opinion. Compte tenu de l’inadaptation du dispositif actuel, celui-ci doit être refondé », insiste le rapport.
La défiance grandissante du public envers les médias d’information est rappelée. « Selon les données du Reuters Institute, la France était le pays européen dans lequel la confiance dans l’information était la plus faible en 2020: seuls 30 % des Françaises et des Français déclaraient avoir confiance dans l’information, au même niveau que les Hongrois et les Slovaques. La moyenne européenne se situe aux alentours de 45 %, avec un maximum de 65 % pour la Finlande ».
Alors, quelle nouvelle régulation ? La loi de 1986 définissait des seuils par secteurs de médias, un dispositif aujourd’hui absurde et inopérant à l’heure du numérique et de la convergence des médias. Le rapport propose donc de s’inspirer fortement du « dispositif britannique qui a déjà fait ses preuves ». Ce nouveau système ne concernerait que les médias d’information. Il s’agirait d’agglomérer plusieurs indicateurs « tant qualitatifs (diversité des contenus, indépendance de l’information au regard des agissements passés, etc.) que quantitatifs (audience réelle, couverture, viabilité économique des opérateurs, «parts d’attention», etc.) ». La mission confiée à l’ARCOM serait « d’apprécier au cas par cas l’impact des opérations sur le pluralisme ».
L’autre nouveauté du dispositif proposé est de prendre en compte l’impact que peuvent avoir les grandes plateformes numériques sur le pluralisme et l’accès aux contenus, via leurs algorithmes de recommandations. « Le pluralisme d’exposition », c’est-à-dire la capacité d’accéder à des contenus divers et à ne pas se trouver enfermé dans des bulles informationnelles, doit lui aussi être régulé, insiste le rapport qui formule plusieurs propositions pour cela.
Le système complexe proposé sera sans doute jugé insuffisant face, par exemple, aux interventions brutales d’un Vincent Bolloré ou d’un Bernard Arnault dans les contenus des médias qu’ils possèdent. On ne voit guère comment il pourrait enrayer l’appétit d’hommes d’affaires milliardaires pour les médias. Dernières illustrations cet été : après des mois de bataille contre Xavier Niel, Rodolphe Saadé, le puissant armateur marseillais du groupe CMA-CGM, vient de mettre la main sur le quotidien La Provence. Quand au milliardaire Daniel Kretinsky, il s’invite à la table du quotidien Libération en le refinançant.
Surtout, il apparaît peu probable que le gouvernement accorde quelque importance à ce rapport qui a au moins l’avantage d’insister sur la nécessité de réguler ces concentrations.
François Bonnet