Il faut soutenir la rédaction du « Journal du dimanche »

Depuis un mois, la rédaction de l’hebdomadaire est en grève pour dire son refus de la nomination à sa tête du journaliste d’extrême-droite Geoffroy Lejeune. Ce conflit inédit porte des enjeux qui vont bien au-delà du sort de l’hebdomadaire et nous concernent toutes et tous.

On peut apprécier ou non Le Journal du dimanche. Rappeler qu’il fut l’un des principaux leviers d’influence du groupe Lagardère auprès des pouvoirs politiques successifs. Souligner que, de Sarkozy à Macron, il se fit le relais de communication des ministres, se prêtant parfois à quelques articles frelatés en défense de Nicolas Sarkozy dans l’affaire libyenne, ou de Jérôme Cahuzac pris la main dans un compte suisse tenu secret…

Mais il demeure qu’un journal est d’abord fait d’un collectif de journalistes, dans leur diversité et leur pluralisme. C’est ainsi que l’hebdomadaire dominical s’est imposé dans la durée, d’abord par la qualité de ses informations et de ses récits à plusieurs voix de la société, de la politique, de la culture et du sport.

C’est ce collectif que Vincent Bolloré, nouveau propriétaire au terme du rachat du groupe Lagardère, a décidé de piétiner en faisant nommer à sa tête le journaliste Geoffroy Lejeune. Cette figure revendiquée de l’extrême-droite a toujours assumé sa proximité avec Eric Zemmour et Marion Maréchal. Sa transformation du journal Valeurs actuelles, qu’il a dirigé plusieurs années, en brûlot d’extrême-droite a été jugée suffisamment extrémiste par son actionnaire, l’homme d’affaires Iskander Safa, pour qu’il se débarrasse du journaliste activiste en juin 2023.

Depuis un mois, la rédaction du JDD est en grève, reconduite chaque semaine à plus de 90%, interdisant ainsi la parution du journal, une première dans l’histoire de cet hebdomadaire créé trois ans après la Libération. Les journalistes défendent farouchement « l’identité » de leur journal. « Le JDD est un journal d’information. Nous ne pouvons accepter un journalisme d’opinion décomplexé et une ligne éditoriale d’extrême-droite qui va à l’encontre de notre histoire », expliquaient les porte-parole de la rédaction le 5 juillet.

Entré dans le giron du groupe Bolloré, le JDD est promis au même sort qu’I-Télé, chaîne d’information liquidée pour devenir CNews, une chaîne d’opinion relayant désormais toutes les obsessions de l’extrême droite dans un climat de guerre civile et de haine. Un exemple plus récent encore est celui de la radio Europe 1, elle aussi dans l’orbite Bolloré. Près de 90 salariés et journalistes l’ont alors quittée, aussitôt remplacés par des journalistes et chroniqueurs proches de l’extrême droite.

Mais le conflit du JDD et la mobilisation courageuse de sa rédaction portent des enjeux qui vont bien au-delà du sort de l’hebdomadaire. D’abord parce qu’il s’agit de mettre un coup d’arrêt au projet politique de Vincent Bolloré qui consiste à installer l’extrême droite à la tête des médias de masse qu’il contrôle, bouleversant ainsi les termes du débat public.

Ensuite parce que cette grève souligne l’urgence de se saisir de la question de l’indépendance des rédactions par rapport aux actionnaires. Les journalistes du JDD l’ont bien compris qui ne veulent pas seulement l’annulation de la nomination de Geoffroy Lejeune.  Leur société de journalistes demande également que soient données « à la rédaction des garanties d’indépendance juridique et éditoriale ».

De quoi s’agit-il ? De demandes formulées de longue date par les sociétés de journalistes, les syndicats, collectifs et associations de journalistes ainsi que par des organismes de défense de la liberté de la presse, dont le Fonds pour une presse libre. La première de ces mesures est d’accorder aux rédactions le droit d’approuver ou de refuser les directions éditoriales que veulent imposer les actionnaires. De même, les rédactions doivent avoir le pouvoir de révoquer, donc de démettre, ces directions éditoriales.

C’est le cœur du combat des journalistes du JDD. Et ils doivent pour cela être soutenus. Après des semaines de silence du pouvoir exécutif, ce sont des députés qui ont déposé une proposition de loi « visant à protéger la liberté éditoriale des médias ».  

Portée par quinze parlementaires de tous les groupes politiques à l’exception des Républicains (LR) et du Rassemblement national (RN), cette proposition « vise à conditionner les aides à la presse directes et indirectes à la mise en place d’un droit d’agrément des journalistes sur la nomination de leur directeur ou directrice de rédaction ». En 2022, le FPL avait fait une proposition semblable devant la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias (c’est à lire ici). Proposition alors balayée par la droite sénatoriale…

Si cette mobilisation de quinze députés a peu de chances d’aboutir, elle a au moins l’intérêt de souligner l’urgence de réformes législatives concernant la presse et l’indépendance du journalisme à un moment où la défiance n’a jamais été aussi grande envers les médias.

Depuis 2017, le pouvoir macronien s’est refusé à toute mesure et à toute réforme, laissant une dizaine d’hommes d’affaires parachever leur prise de contrôle de la quasi-totalité des grands médias. Depuis des mois, les offensives sont incessantes contre le journalisme indépendant (lire notre article Pourquoi la liberté de la presse reste un combat ).

Le conflit du JDD dit combien il y a urgence à agir. Le pouvoir semble enfin l’avoir entendu. Reprenant une promesse d’Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle 2022, l’Elysée a annoncé le 13 juillet la tenue à partir du mois de septembre d’« États généraux de l’information ». Un « comité indépendant », avec comme « délégué général » Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, sera en charge de leur organisation (lire le détail ici).

Souhaitons que cela n’aboutisse pas à un rapport de plus, aussitôt publié aussitôt enterré, comme ce fut le cas de tous les précédents rapports sur la presse et l’information ces dernières années. Pour cela, pour la rédaction du JDD et l’avenir de cet hebdomadaire, il nous faut nous mobiliser afin que ce bien commun qu’est une information libre et pluraliste ne soit pas engloutie dans les cloaques de l’extrême droite.

François Bonnet
président du FPL

 

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