Pour des États généraux de la presse indépendante

Les états généraux présidentiels de l’information ont été présentés ce 3 octobre. En l’absence des journalistes, de leurs syndicats, de leurs collectifs, de leurs sociétés de rédacteurs, cette machinerie construite à l’Élysée laisse craindre le pire. Le Fonds pour une presse libre appelle à hacker un tel dispositif en organisant des États généraux de la presse indépendante.

Nos craintes ont été confirmées ce mardi 3 octobre, avec la présentation officielle des états généraux de l’information, voulus par Emmanuel Macron lors de sa campagne électorale de 2022 et repoussés à plusieurs reprises depuis. Le dispositif, construit dans le secret de l’Élysée et selon des procédures inconnues, est celui d’un vaste débat sur des thèmes aussi larges que flous et qui devrait déboucher dans neuf mois sur un rapport… Un de plus ?

L’urgence de réformes larges et profondes des secteurs de l’information est martelée depuis des années par les principaux acteurs, journalistes en tête. D’innombrables propositions de réformes ont été faites, sur les droits et devoirs des journalistes, sur la propriété des médias, l’indépendance des rédactions, les aides publiques à la presse, le partage de la richesse aujourd’hui accaparées par les grandes plateformes numériques, la régulation des réseaux sociaux, etc.

Tout cela est sur la table et bon nombre de mesures font consensus. Il reste aux politiques à trancher, décider et réformer. L’affaissement du débat public, la dégradation de la qualité de l’information, la crise d’indépendance et l’installation de l’extrême-droite dans des médias de masse démontrent l’urgence d’agir. Ce n’est pas ce chemin qui s’annonce, au vu de l’organisation de ce qu’il faut bien appeler des États généraux présidentiels de l’information.

Le Fonds pour une presse libre a toujours considéré que c’est au Parlement, dans la diversité de ses représentations politiques, qu’il revenait de se saisir de ce bien public qu’est l’information et des réformes à apporter à cette loi fondamentale qu’est la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Comme en 2008, avec les États généraux sur la presse voulus par Nicolas Sarkozy, le droit de savoir des citoyennes et des citoyens est à la merci d’un homme, le président de la République. Le pouvoir suprême promettant de réformer son contre-pouvoir… L’anomalie démocratique est flagrante.

Elle l’est encore plus quand cette initiative est pilotée par un comité dit indépendant, mais dont chacun des membres a été nommé par l’Élysée selon des critères obscurs. Le sujet n’est pas de disqualifier ces personnes et leurs compétences réelles ou supposées. Il est de dénoncer une méthode politique qui ne produit ni légitimité, ni confiance.

L’anomalie est plus grande encore si l’on veut bien observer que les membres du comité de pilotage et responsables des diverses commissions créées sont pour l’essentiel des hauts fonctionnaires (Conseil d’État, Inspection des finances) ou des figures du monde des affaires. Christophe Deloire, secrétaire général de l’ONG Reporters sans frontières -qui s’était opposée en 2008 aux États généraux de Nicolas Sarkozy-, fait figure d’incongru ou de caution dans un dispositif dont il est le délégué général, mais qui apparaît tout entier contrôlé par le techno-business.

Les syndicats de journalistes l’ont bien noté qui, dans un communiqué commun (SNJ, CGT, CFDT, FO) publié ce 3 octobre, notent que « pour que ces États généraux soient utiles, il faudrait déjà urgemment changer de méthode et associer les quatre organisations syndicales représentatives des journalistes ». Les sociétés de journalistes, les collectifs et organisations diverses de défense des droits pourraient dire de même.

À regret, le Fonds pour une presse libre n’attend donc rien ou pas grand-chose de cette initiative qui pourrait n’être qu’un énième exercice de communication d’un pouvoir privé de majorité parlementaire, et donc de la capacité de réformes législatives ambitieuses.

Pour autant le FPL ne boycottera pas ces états généraux et a, d’ores et déjà, demandé à être auditionné. Notre mission est de défendre le pluralisme de la presse et l’indépendance du journalisme. Pour cela, le FPL se doit de parler à tous, de saisir toutes les tribunes disponibles, même dans des lieux peu recommandables, pour exposer nos propositions.

En revanche, nous pensons qu’il est peut-être possible de bousculer cette entreprise présidentielle, de la hacker en quelque sorte. D’abord pour faire savoir cette urgence d’agir et ne pas noyer les réformes prioritaires dans un océan de considérations générales ou de problèmes qui se posent au niveau mondial et échappent à une règlementation nationale (l’Union européenne a pris en la matière plusieurs mesures importantes).

Ensuite pour faire connaître les propositions de réforme de la presse indépendante, qui recoupent d’ailleurs largement celles de tous les journalistes. Protection du secret des sources des journalistes, levée du secret des affaires, lutte contre les procès-baillons, reconnaissance juridique des sociétés de journalistes, fin des violences policières sur les journalistes, propriété des médias, réforme de la loi de 1986 sur l’audiovisuel, création d’un délit de censure, droit d’agrément et de révocation des responsables de rédaction par les journalistes, lutte contre la concentration des médias, lutte contre l’extrême-droite, réformes des aides publiques en les conditionnant à l’indépendance des médias… et quelques autres.

Pour cela, le Fonds pour une presse libre vient de proposer à une centaine de médias indépendants d’organiser les États généraux de la presse indépendante. Au-delà de notre diversité, de nos désaccords, il nous faut nous rassembler pour dire aux citoyennes et citoyens que d’autres propositions éditoriales, que d’autres agendas informatifs existent.

Nous sommes chaque jour des millions de personnes à lire, regarder, écouter la presse indépendante. Ce sont ces voix qu’il faut faire entendre. Dans leur pluralisme et loin des commissions officielles.

François Bonnet, président du FPL

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