Judith Godrèche publie son intervention prononcée lors de l’événement « Libertés ! » dans un tribune sur le blog de Mediapart que nous retranscrivons ci-dessous.
Je me tiens devant vous ce soir,
Mais je ne sais pas qui se tient devant vous ce soir.
Vos regards bienveillants, vos mains tendues, poings levés, prêts à entourer l’autre, cet inconnu, de vos bras aimants, me confirme ce que je sais :
Dans un pays animé par la tolérance,
Ce n’est pas grave de ne pas savoir précisément qui je suis,
Car je suis en sécurité.
Avec vous.
Ne vous méprenez pas.
Je ne suis pas si forte non plus.
Je souris grand mais pleure longtemps, ma puissance n’a d’égale que ma fragilité.
Et je ne suis rien sans votre soutien – qui que vous soyez.
Je ne suis pas si forte – mais j’en suis fière.
Il y a une force que je combats.
Certains d’entre vous en ont aussi fait les frais.
Les jambes à son cou… aucune porte ne ferme… ce lit n’est pas le mien… sa force à lui… il devient l’horizon… je ferme les yeux, peut-être c’est mieux fixés au plafond… la force de sa main qui s’abat contre ma joue… la force de sa voix, de son corps si adulte… Il a tous les pouvoirs, je suis un objet.
Je fais semblant d’être morte.
Nos corps sont des mots qui comptent triple au Scrabble pour le patriarcat. Pour ces hommes-là, les VSS [violences sexistes et sexuelles – ndlr] sont trois lettres interchangeables dont ils s’amusent le dimanche soir, au coin du feu.
La force que nous vend le RN, c’est celle-là.
La protection que nous vend le RN n’existe pas.
Alors je serai là, tant que ce sera possible.
Prête à courir, argumenter, plaider, m’humilier même,
Pour convaincre celles et ceux qui doutent – celles et ceux que la vie a déçus, a laissés de côté, qui n’y croient plus, et veulent voir leur quotidien changer du tout au tout.
Je serai là pour frapper à toutes les portes, et crier doucement que la marge, la différence, l’étranger, le binational n’incarnent pas l’ennemi.
Ce n’est donc pas à vous que je parle maintenant, vous, que je n’ai pas besoin de convaincre.
C’est à elles et eux qui hésitent, qui doutent, celles et ceux qui sont tentés d’essayer l’extrême droite.
Je comprends votre besoin de trouver un bouc émissaire, d’ancrer sa colère, sa peur, de choisir l’ennemi, de lui donner un visage.
Mais dans la tombe – quand tout sera dit –, qui sera là pour vous féliciter d’avoir choisi la haine ?
Votre fragilité, votre douceur, vos douleurs et vos peurs sont instrumentalisées.
Le temps de cette élection, le RN vous fera croire qu’il est possible d’être juive, noire, pauvre, handicapée, au chômage, algérienne, blanche, asiatique, perdue, battue, et de leur confier votre futur.
C’est un mensonge.
Je me tiens aussi devant vous, vous qui n’êtes pas là ce soir.
Selon ce que vous avez entendu dire, ou lu, ou juste ce que mon apparence vous inspire,
Vous voyez peut-être en moi,
Une enfant qui a été violée,
Une jeune femme qui a été frappée,
Une petite-fille d’immigré juif,
La maman d’une jeune fille d’origine haïtienne,
La maman d’un garçon d’origine kabyle.
Mais vous voyez peut-être aussi en moi, surtout, une femme blonde, privilégiée, qui parle dans des endroits où règnent les étoiles,
Une femme avec un passe-droit,
Qui foule les marches rouges d’un festival légendaire les mains sur la bouche.
Je ne prends pas le RER à 5 heures du matin pour garder les enfants des autres,
Je ne retourne pas le soir dans ma chambre de bonne vivre avec mes quatre enfants, après avoir passé la journée à nettoyer les toilettes d’un lieu public où personne ne me dit jamais bonjour.
C’est vrai, je ne peux pas parler au nom de mes sœurs, m’approprier leur combat.
Je m’appelle Judith Godrèche.
Demain, je peux tomber amoureuse d’une femme, ou d’une personne transgenre, demain je peux oser vivre ma vie avec la liberté qui nous est due à toutes et tous.
Mais qu’en serait-il sous le RN ?
Qui serai-je le 8 juillet, si le RN arrivait au pouvoir ? Quel destin me réserve-t-il ?
La réponse est bien plus douce pour moi qu’elle ne le sera pour la majorité d’entre vous, vous qui êtes là, et vous aussi qui n’êtes pas là ce soir.
J’ai pris des coups, ça fait mal. Mais je ne peux qu’imaginer à quel point les coups vont faire mal, quand un homme en armure noire synthétique sera lâché sur les personnes racisées par un gouvernement omnipotent pour leur casser la figure.
Je connais la violence de la domination. Mais ce qui nous attend sera pire encore.
Qu’en sera-t-il alors des femmes qui ne sont pas sur le devant de la scène ?
Qu’adviendra-t-il de nos cultures mêlées, de la richesse de notre cinéma, de notre musique, des lectures de nos enfants, que regarderont-ils à la télévision privatisée ? Comment survivront les ouvrières du cinéma sans leurs droits à l’intermittence ?
Elles qui déjà n’osent pas dire qu’elles ont été abusées de peur de ne plus jamais travailler.
Quel paysage sera le nôtre ? Fade, gris, sans couleurs ?
Le monde, c’est vous, c’est nous,
Le monde ne nous appartient pas.
Et nous le savons.
Combien d’entre nous, à la veille de leur dernier jour, se sont murmuré ces mots : pourquoi ai-je tant haï ?
Car rien ne s’efface, quand la nuit tombe.
Que deviendront les arbres, dont la liberté est en péril,
Sous la gouvernance d’un parti qui croit en la possession des libertés humaines, animales, végétales.
Que deviendrons-nous sous la gouvernance du RN, quand il fermera la porte, se couchera sur nous, souhaitera peser de tout son poids pour nous empêcher de mener des existences qui ne sont pas conformes à un ordre social régressif.
Quand le RN forcera l’orée de nos corps, il sera trop tard pour dire : « Tout le monde savait. »
Nous avons si peu de temps pour nous battre, dans cette urgence imposée.
Mais notre force est d’accepter nos faiblesses.
Nos principes sont inébranlables et si simples pourtant : si tu touches à ma sœur, c’est à moi que tu touches. Et si elle boite, je cours, si elle dort, je veille au grain, si elle a la double nationalité, je lui donne deux fois plus d’amour.
Et puisque nous sommes capables de compassion, de désespoir et de remise en question, nous sommes invincibles.
Alors, tant qu’il en est encore temps,
Je vous implore, vous qui êtes là mais surtout vous qui n’êtes pas là ce soir, avec toute l’énergie d’un souffle maintes fois perdu : faites front avec nous, soyons populaires ensemble, vous qui n’êtes pas là et nous qui le sommes ce soir.