La campagne des médias Bolloré contre l’audiovisuel public est une parfaite illustration de ce que la presse indépendante appelle depuis des années « les médias de la haine ». Désinformation, campagnes ciblées contre des personnes, chasse en meute et relais politique du RN. Tout est en place pour détruire le débat public. Ce sera un des sujets de notre réunion publique du 30 septembre.
Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, s’est enfin réveillée. Alors que les médias d’extrême droite menaient depuis deux semaines une campagne déchaînée contre l’audiovisuel public, la dirigeante s’est enfin résolue à appeler un chat un chat, dans un entretien au « Monde ». « A un moment, il faut dire stop (…) Il faut admettre que CNews est un média d’opinion. Qu’ils assument d’être une chaîne d’extrême droite ! », dit la dirigeante.
Merci de le dire, mais nous le savions, le disions et le subissions depuis des années, nous, une large partie des médias indépendants et, ce, dans le silence quasi-général des médias mainstream… et de l’audiovisuel public. Cette déclaration tardive n’affaiblit en rien notre soutien aux journalistes du service public de l’information, et notre défense d’une information au service du public (et non de l’Etat), pluraliste, indépendante et de qualité.
Pourquoi cette appellation « médias de la haine » ? Parce que la haine est leur carburant et signe leur ligne éditoriale. Chaque jour, la machine à dénoncer se met en marche pour dresser le paysage apocalyptique d’un pays en voie de destruction. « Un populicide », selon l’illuminé du bocage vendéen, Philippe de Villiers, qui a table ouverte sur CNews depuis le départ d’Eric Zemmour, condamné pour incitation à la haine raciale.
La France serait donc mise à feu et à sang par le « grand remplacement », les Français de papier, les minorités, les immigrés, les universitaires, les « idiots du wokisme », les « islamo-gauchistes », la jeunesse des quartiers populaires, les musulmans, les « bobos », le crime et l’insécurité, les écologistes, les féministes, le planning familial et les pro-avortement (sans oublier « l’extrême gauche », il va de soi)…
Il ne s’agit pas d’informer, il n’y a d’ailleurs pas d’information sur CNews, sauf quelques images ou lecture de dépêches d’agence. Une interminable logorrhée appelée débats occupe l’antenne, où se succèdent des intervenants allant de la droite dure (version Retailleau) à l’extrême droite ultra (Erik Tegnér de « Frontières »). Le pluralisme à l’intérieur de cette prétendue chaîne d’info, condition impérative mise à l’attribution d’une fréquence (publique) de diffusion sur la TNT, n’existe pas.
Cette « ligne éditoriale » n’a rien à envier à Charlie Kirk, ce polémiste fondamentaliste chrétien, antisémite, homophobe et suprémaciste assassiné aux Etats-Unis, qui est célébré depuis une semaine par les médias d’extrême droite français (Louis Aliot représentera le RN à ses obsèques en Arizona).
Mais ce sont aussi les méthodes utilisées par cette galaxie qui en font des médias de la haine. Delphine Ernotte le savait sans doute en énonçant des évidences au journal « Le Monde ». Elle remettait une pièce dans la machine à propagande. Et cela n’a pas manqué. Le polémiste Pascal Praud (poids lourd de CNews, du JDD, d’Europe1) a clamé son indignation durant trois jours, accusant la présidente de France Télévisions de « coller une cible sur nos vies et celles de nos journalistes », quand elle se gardait de citer le moindre nom. « Oui, nous sommes dans une guerre culturelle », a-t-il de nouveau asséné.
En revanche, elle, ainsi que Thomas Legrand et Patrick Cohen font l’objet de campagnes personnalisées appelant à leur limogeage et disparition de l’espace public. En témoignent, parmi bien d’autres choses, les deux dernières « Une » du JDD et du JDNews, construites justement comme des cibles : « Le scandale des intouchables » ; « Radicalisation : ce que trahissent les propos de Delphine Ernotte ».


Ces campagnes « personnalisées », de nombreux journalistes ou personnalités les ont subies par le passé. Rappelons Pap Ndiaye, alors ministre de l’éducation, qui en juillet 2023, avait décrit Vincent Bolloré comme un « personnage manifestement très proche de l’extrême droite la plus radicale ». « Oui, CNews, c’est très clairement d’extrême droite. Je pense qu’ils font du mal à la démocratie, il n’y a aucun doute », ajoutait-il.
Immédiatement, une avalanche de boue se déversait sur le « ministre woke ». Offensive alors massivement relayée par LR et le RN. Deux semaines plus tard, il perdait son poste de ministre.
Rappelons également, le guet-apens tendu par Pascal Praud, en février 2024, à Christophe Deloire (décédé en juin 2024), alors dirigeant de Reporters sans Frontières et en charge des Etats généraux de l’information (voir la vidéo ici). La fureur de Praud envers celui qu’il qualifiait de « ministre de la censure » fut ensuite longuement relayée par Europe1 et le JDD.
Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, est également la cible régulière de ces attaques en meute. « Ami de Tarik Ramadan », « idiot utile des islamistes » ou seulement « islamo-gauchiste-trotskyste », il fut souvent présenté comme le chef de file d’une presse indépendante. Et cela donna même lieu à plusieurs cartographies où, là encore, il s’agissait de cibler d’abord des personnes puis des titres de presse : ici la « cartographie de l’extrême gauche » vue par « Frontières ».
« Le Point », « Valeurs actuelles », « Le Figaro magazine » se sont livrés à des exercices semblables. Car les « médias de la haine » infusent dans l’ensemble du système d’information. Leurs prétendus succès d’audience inquiètent, les concurrents s’inspirent ou copient. Leurs thèmes de prédilection comme leurs méthodes se diffusent, comme en témoignent l’inflation d’émissions de pseudo-débats ou l’arrivée sur France info de deux chroniqueurs de l’émission de Pascal Praud.
Face à cette machine puissante, qui progresse, se coordonne, et face au silence, quand ce n’est pas de la complaisance, des pouvoirs politiques, la presse indépendante doit réagir et, elle aussi monter en puissance.
C’est aussi pour cette raison que le Fonds pour une presse libre organise, le mardi 30 septembre, « Le procès Bolloré, les médias de la haine devant le tribunal » lors d’une grande réunion publique à l’Espace Reuilly (75012). Il s’agira d’expliquer, de témoigner, de riposter.
Soyons nombreux ! l’entrée est gratuite, inscription obligatoire ici.
François Bonnet, président du FPL