LVMH s’invite au « Monde », Daniel Kretinsky à « Libération »

Une dirigeante du groupe de Bernard Arnault prend la tête du conseil de surveillance du groupe « Le Monde », suscitant l’inquiétude des rédactions. A « Libération », l’homme d’affaires tchèque place l’un des siens au fonds de dotation qui contrôle le journal.


Dans le monde enchanté de la presse des milliardaires, les rédactions n’ont pas leur mot à dire. Les actionnaires et propriétaires commandent. Deux événements passés largement inaperçus concernent l’organisation des structures de direction du groupe Le Monde et de Libération. Chaque fois, les inquiétudes ou les demandes des rédactions ont été ignorées.

Au Monde, contrôlé par le magnat des télécoms et de l’immobilier Xavier Niel, par ailleurs gendre de Bernard Arnault, une dirigeante du groupe LVMH est propulsée à la présidence du conseil de surveillance du groupe de presse. Élue à ce poste le 6 octobre, en remplacement de Jean-Louis Beffa et avec le soutien de Xavier Niel, Aline Sylla-Walbaum est directrice générale du joaillier Chaumet après avoir dirigé la maison de vente Christie’s, deux grandes marques du groupe de Bernard Arnault. Elle siège par ailleurs au conseil de surveillance du groupe immobilier Unibail-Rodamco-Westfield dont Xavier Niel est l’un des principaux actionnaires.

Passée par L’ENA et HEC, Aline Sylla-Walbaum fut également conseillère de François Fillon à Matignon. Fait exceptionnel, le « pôle d’indépendance » du Monde a refusé de voter pour cette nomination, selon la Lettre A. Ce pôle regroupe les personnels et les lecteurs du quotidien Le Monde mais aussi les salariés de La Vie et de Courrier International. Il contrôle 25,4% du groupe (plus de détails ici).

Le « pôle d’indépendance » a choisi de s’abstenir sur cette nomination, faisant part de ses réserves sur l’arrivée à un poste stratégique du groupe d’une dirigeante de LVMH. Bernard Arnault, propriétaire des Échos, du Parisien, de Radio Classique, a un solide contentieux avec Le Monde. En 2017, le quotidien, dans le cadre de l’enquête internationale sur les Paradise Papers avait révélé une partie de la fortune offshore de celui qui est régulièrement classé dans les trois premières fortunes mondiales. En rétorsion, le patron de LVMH avait fait supprimer les publicités de son groupe au journal Le Monde, selon Le Canard Enchaîné, un manque à gagner de plus de 600.000 euros.

Les milliardaires par Caroline Varon

A Libération, c’est un autre milliardaire qui a fait fortune dans l’énergie, le Tchèque Daniel Kretinsky, qui s’installe dans la structure qui contrôle le quotidien. En échange d’un prêt de 15 millions d’euros au journal, l’homme d’affaires obtient un des trois sièges d’administrateurs du fonds de dotation (FDPI) créé par SFR pour y loger le quotidien. Selon la Lettre A, Daniel Kretinsky y a nommé un de ses proches collaborateurs, Branislav Miskovic. 

Ce dernier est également présent au conseil de surveillance de CMI qui rassemble les nombreux titres contrôlés par Daniel Kretinsky. En quelques années, CMI est devenu le deuxième groupe de presse magazine en France, avec dix-huit titres : Art & Décoration, City Magazine International, ELLE, ELLE à table, ELLE Décoration, Franc-Tireur, France Dimanche, Ici Paris, Le Journal d’Ines, Le Routard Magazine, Marianne, Public, S, Le Magazine de Sophie Davant, Télé 7 jours, Télé 7 jours jeux, Télé 7 jeux, Usbek & Rica et Version Femina.

Le fonds de dotation (FDPI) est supposé garantir une totale indépendance au quotidien Libération. Mais son conseil d’administration était jusqu’alors constitué de trois hauts dirigeants du groupe SFR, propriété de Patrick Drahi. A l’occasion de la nomination d’un administrateur par Daniel Kretinsky, la rédaction et les salariés du quotidien espéraient voir aboutir leur demande : disposer également d’un représentant au CA du fonds. Ce n’est finalement pas le cas.

Le quotidien Libération a perdu 7,9 millions d’euros en 2021 et 12,3 millions en 2020. Le prêt de 15 millions d’euros consenti par Daniel Kretinsky doit officiellement assurer « le financement du titre jusqu’à son retour à l’équilibre » en 2026, a annoncé la direction du journal. Que se passera-t-il si le quotidien n’est pas en capacité de rembourser ce prêt dans les prochaines années ? Kretinsky succèdera-t-il au groupe Drahi ? Ce qui est certain, c’est qu’il s’affirme désormais comme un acteur majeur de la « presse des milliardaires ».

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