En Algérie, le journalisme mis derrière les barreaux

Quatre ans après le hirak, cet immense mouvement pacifique de protestation, le pouvoir algérien a mis au pas la quasi-totalité des médias, multipliant les arrestations et les condamnations de journalistes comme les pressions économiques. Figure du journalisme indépendant, Ihsane El Khadi vient d’être condamné à trois ans de prison ferme.


Le 3 mai, journée mondiale pour la liberté de la presse, aurait pu être une occasion de parler de l’Algérie. L’élimination du journalisme en Russie, remplacé par une machine de propagande, les répressions massives en Arabie saoudite et en Chine ont fait oublier ou négliger la situation très difficile des médias en Algérie.

Un mois plus tôt, le 2 avril, le journaliste Ihsane El Kadi, figure de la presse indépendante algérienne, a été condamné à cinq années de prison, dont trois ans ferme, par le tribunal de Sidi M’hamed à Alger. Il dirigeait le site d’information Maghreb émergent et la radio Radio M, interdite dans la foulée. Au total, le journaliste et sa société ont été condamnés à environ 80.000 euros d’amende et ses biens ont été saisis.

Emprisonné depuis le 29 décembre 2022, Ihsane El Kadi était accusé de « financement étranger de son entreprise ». Selon les avocats du journaliste, ce financement de l’étranger consistait en un transfert de 25 000 livres sterling (environ 28.000 euros) effectué par sa fille, résidente au Royaume-Uni et actionnaire d’Interface Médias. L’argent devait servir au paiement des salaires des employés à la suite du blocage des comptes de la société à cause d’une dette fiscale.

Le cas d’Ihsane El Kadi, dans le collimateur du pouvoir algérien depuis des années et surtout depuis 2019 et le hirak, ce mouvement de protestation populaire qui a fait tomber le régime de Bouteflika et s’est poursuivi près d’une année, illustre le sort fait aux médias indépendants en Algérie. « La situation est catastrophique, le pouvoir a achevé de verrouiller toute information et ne tolère qu’une presse aux ordres », nous dit un journaliste algérien, dont nous ne citerons pas le nom pour des raisons évidentes de sécurité.

Depuis le début des années 2000, un système médiatique à peu près pluraliste et parfois indépendant coexistait -difficilement- avec le régime. La régression est complète et l’Algérie figure désormais dans les profondeurs du classement mondial annuel sur la liberté de la presse réalisé par Reporters sans frontières : le pays est en 136è place (sur 180 Etats) et « a confirmé sa dérive autoritaire », note RSF.

« Les arrestations, les poursuites économiques et le verrouillage complet de la publicité qui est distribuée par une agence du gouvernement ont fait disparaître de nombreux titres et dissuadent les journalistes », ajoute le journaliste algérien déjà cité (lire également cet éditorial d’El Watan sur le scandale de la publicité). 

Ihsane El Kadi « n’est pas le premier journaliste arrêté. Il y en a eu une dizaine. Même s’ils sont ensuite acquittés lors de leurs procès, le régime se sert de la détention provisoire pendant des mois comme une arme pour les faire taire. L’utilisation de la détention provisoire jusqu’à dix-huit mois est utilisée comme une peine »,expliquait récemment Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), en exil en Belgique.

La situation ne pourrait qu’empirer avec la perspective d’une élection présidentielle qui doit se tenir l’an prochain. L’actuel président Abdelmadjid Tebboune, qui avait succédé à Bouteflika, a remanié son gouvernement en mars et semble déterminé à briguer un deuxième mandat. Cela provoquerait de fortes tensions au sein du régime, des services et de l’armée. Mais l’opacité demeure la règle et le journalisme devra attendre derrière les barreaux.

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