Après la crise intervenue au quotidien “La Provence”, soixante-dix sociétés de journalistes, médias, syndicats et collectifs interpellent la ministre Rachida Dati pour lui demander de défendre enfin l’indépendance du journalisme.
La mise à pied du directeur de rédaction de La Provence nous alerte. Comme, avant elle, la crise au JDD ou celle des Echos qui dure maintenant depuis près d’un an. Les atteintes à l‘indépendance des rédactions se répètent. A chaque fois les consciences se réveillent, puis se rendorment, et rien ne change.
L’avenir nous inquiète à la vue des explications fournies le 19 mars aux élus du comité social et économique (CSE) du groupe Altice par Rodolphe Saadé, nouvel acquéreur des chaînes BFM-TV et RMC. Comment ne pas s’alarmer en entendant Monsieur Saadé indiquer à cette occasion qu’il ne « réagirait pas bien » et « le ferait savoir » si un scandale concernant son groupe CMA CGM était dévoilé dans un média dont il est actionnaire, rappelant que pour lui, si l’information existe, « il y a manière et manière » ?
Madame la ministre Rachida Dati, la seule et unique manière de produire de l’information de qualité, vérifiée, sourcée, et honnête, c’est de garantir l’indépendance des journalistes et des rédactions.
Les journalistes n’ont pas vocation à servir les intérêts personnels, économiques ou politiques des actionnaires de leur média. Ils et elles ne sont pas là pour servir un agenda politique, ou la stratégie de communication du gouvernement.
Lorsque leur indépendance est menacée ou bafouée, ce ne sont pas les intérêts d’une corporation qui sont atteints, mais le débat public, et donc l’intérêt général. Si on ne garantit pas aux citoyens et citoyennes l’accès à une information pluraliste, de qualité, alors nous fragilisons la vie démocratique.
Madame la ministre, vous avez affirmé, le 21 mars lors de votre audition devant la commission d’enquête sur les autorisations de diffusion sur la TNT, que la loi garantissait suffisamment cette indépendance. La mise à pied du directeur de la rédaction de La Provence le lendemain, levée ce lundi 25 mars à la suite d’une grève de la rédaction, a démontré le contraire. Et une mission parlementaire vient de souligner les nombreuses lacunes et faiblesses de la législation actuelle (loi Bloche de 2016). Vous ne pouvez pas l’ignorer.
Le droit d’opposition et les clauses de cession sont indispensables, mais ils ne sont pas suffisants. Ils permettent aux journalistes de se protéger individuellement, d’avoir une sortie de secours en cas de désaccord. Mais que devient le citoyen lecteur, auditeur, ou la citoyenne lectrice, auditrice, une fois que les journalistes sont partis et que l’actionnaire a tout pouvoir ? Devant quel type d’information se retrouvent-t-ils ? Garantissons-nous leur droit à l’information libre et éclairée ?
L’agenda politique vous offre une occasion d’agir concrètement et immédiatement. Une proposition de loitranspartisane, déposée il y a plus de six mois afin de protéger la liberté éditoriale des médias, vient enfin d’être inscrite à l’agenda parlementaire. Après un examen en commission, le texte sera débattu le 4 avril.
Si plusieurs dizaines d’amendements ont déjà été déposés, aucun n’émane du gouvernement, qui brille par son absence d’investissement sur ce texte. Or la proposition de loi, qui entend donner aux journalistes un droit d’agrément sur la nomination du responsable de la rédaction, est un important premier pas vers le renforcement de l’indépendance des rédactions.
D’autres mesures devront suivre. Les Etats généraux de la presse indépendante ont formulé, en novembre 2023, « 59 propositions pour libérer l’information » qui dessinent une réforme ambitieuse de la presse. Mais la moindre des choses est de franchir ce premier pas, en soutenant cette proposition de loi.
Nous insistons, il s’agit de défendre et protéger l’intérêt général.
Pour cela, nous, associations de citoyens, citoyennes et de journalistes, et médias indépendants, qui portons ce combat, vous demandons de renforcer la loi pour garantir l’indépendance des rédactions.
SIGNATAIRES
Appel initié par
Article 34, Un Bout des Médias, Fonds pour une presse libre, Sherpa
Signatures
Les sociétés de journalistes (SDJ) et de rédacteurs (SDR) de
AFP, Arrêt sur images, Arte, BFMTV, Blast, Challenges, Courrier international, ELLE, Epsiloon, France 24, France 3 (rédaction nationale), Franceinfo.fr, FranceinfoTV, La Tribune, La Vie, Le Figaro, Le Monde, Les Échos, L’Express, Le Point, L’Humanité, Libération, L’Informé, Le Média, Le Nouvel Obs, Le Parisien – Aujourd’hui en France, L’Usine nouvelle, M6, Marianne, Mediapart, Premières lignes, Public Sénat, Radio France, France Télévisions (rédaction nationale), RFI, RMC, RTL, Sept à Huit, Télérama
Les médias:
Disclose, Forbidden Stories, Mediapart, Médiacités, Le Courrier des Balkans, Grand Format, Au Poste, Rue89 Bordeaux, Rue89 Lyon, Rue89 Strasbourg, Reflets.info, Off Investigation, Journal Le Crestois, L’Arrière-Cour, Chabe, Mediavivant, Politis, We Report, Splann!, Afrique XXI, Alterpresse68, Mediacoop, Le Poulpe, Guyaweb, Les Jours, Mr. Mondialisation
Les syndicats, collectifs, associations:
Syndicat National des Journalistes (SNJ), Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT), CFDT Journalistes, FILPAC-CGT, Informer n’est pas un délit (INPD), Collectif Antidotes, GARRD (Guilde des auteurs et réalisateurs de reportages et documentaires