Patrick Drahi perd, une victoire pour le journalisme d’enquête

La cour d’appel de Versailles a annulé la décision du tribunal de commerce de Nanterre qui avait ordonné une censure préalable du site d’information Reflets.info poursuivis par Patrick Drahi et son groupe Altice. Cet arrêt bienvenu rendra plus difficile le contournement de la loi sur la presse au nom du « secret des affaires ».


C’est une déroute judiciaire pour l’homme d’affaires Patrick Drahi et son groupe Altice. La cour d’appel de Versailles a enfin remis le droit sur ses pieds, dans un arrêt rendu le 19 janvier. Elle a annulé la décision du tribunal de commerce de Nanterre qui avait ordonné une censure préalable du site d’information Reflets.info demandée par le groupe Altice au nom du secret des affaires.

Cette décision d’un tribunal de commerce amené à se prononcer en référé, le 6 octobre dernier, sur des questions fondamentales de liberté de la presse avait provoqué l’indignation de toute la profession. A l’initiative du Fonds pour une presse libre, un appel titré « Patrick Drahi ne nous fera pas taire ! » a été signé par plus de cent médias indépendants et organisations de journalistes. 

Car c’est en s’appuyant sur la loi de 2018 protégeant le secret des affaires que le groupe Altice a pu contourner la loi sur la presse de 1881 et saisir le tribunal de commerce. Ce dernier, constatant « un dommage imminent », avait interdit au site d’information Reflets.info de publier toute nouvelle information concernant le groupe Altice. Une censure a priori d’articles pas même publiés !

Dans un long arrêt dûment motivé, la cour d’appel de Versailles taille en pièces la décision du tribunal de commerce comme l’argumentaire de l’avocat du groupe Altice, Christophe Ingrain. « Le secret des affaires ne peut être opposé aux journalistes de Reflets qui ont fait leur travail d’investigation », affirme la cour. Les magistrats de Versailles rappellent que les journalistes peuvent bénéficier d’une exemption (article L. 151-8 du Code de commerce) : le secret des affaires « n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse ».

La cour d’appel précise également qu’« Il est d’abord relevé qu’aucun manque de fiabilité des informations publiées n’est rapporté », que « les informations publiées relèvent d’un débat d’intérêt général ». Enfin, les magistrats écartent les accusations de « sensationnalisme » portées par le groupe Altice. « Le sensationnalisme allégué n’est illustré par aucun propos probant qui figurerait dans les articles litigieux, et ne ressort pas de la lecture des articles qui sont essentiellement factuels », notent-ils.

En conséquence, la cour d’appel annule la décision du tribunal de commerce et condamne le groupe Altice à payer, au titre des frais de justice, 5.000 euros à Reflets.info et 2.000 euros au Syndicat national des journalistes (SNJ) qui s’était joint à la procédure.

« C’est une belle victoire, pour nous et pour l’ensemble de la profession », note Antoine Champagne, l’un des journalistes de Reflets.info et auteur des enquêtes sur Altice et Patrick Drahi. Car ce détournement du droit de la presse par la loi sur le secret des affaires menace l’ensemble du journalisme d’enquête et de l’investigation économique. Il aurait rendu impossible d’informer le public d’affaires telles que les Panama Papers, les Lux Leaks, les Malta Files, les Football Leaks, les Uber Files qui ont révélé d’immenses scandales d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent.

D’ailleurs, sans attendre la décision de la cour d’appel de Versailles, Reflets.info a décidé de s’associer à StreetPress et à Blast pour continuer à publier plusieurs enquêtes sur le groupe Altice et le train de vie de milliardaire de Patrick Drahi. On y découvre les coulisses du groupe, les valses de sociétés et de filiales de l’homme d’affaires ainsi que des montages financiers particulièrement sophistiqués… C’est à lire iciici ou ici.

Patrick Drahi ne désarme pas pour autant. Son groupe, en plus du référé annulé par la cour d’appel de Versailles, a attaqué Reflets.info au fond devant le même tribunal de commerce. Cette procédure durera sans doute un ou deux ans. Altice a également porté plainte contre X au pénal à Paris et au Luxembourg (siège du groupe).

Après les « procédures baillons » systématiquement lancées par le groupe Bolloré, après la censure préalable qui a également frappé Mediapart en novembre dernier avant d’être annulée par le tribunal judiciaire de Paris, cet épisode Drahi illustre combien les pouvoirs économiques et politiques sont déterminés à affaiblir un journalisme libre, indépendant et d’intérêt public. 

Cette question devrait figurer en tête de l’ordre du jour des futurs « états généraux sur le droit à l’information », annoncés par le président de la République l’an dernier. Ils devaient se tenir en novembre dernier. Aux dernières nouvelles, et devant l’embarras manifeste du ministère de la culture et de la communication, ils seraient reportés à l’automne prochain.

François Bonnet

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